Cour de discipline budgétaire et financière
Arrêt
du
29
janvier
1997,
Centre
d'études
de
systèmes
d'information
des
administrations (CESIA)
N° 114-335
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS,
LA COUR DE DISCIPLINE BUDGETAIRE ET FINANCIERE,
siégeant à la Cour des comptes, en audience non publique, a rendu l'arrêt suivant :
LA COUR,
Vu le titre Ier du livre III du code des juridictions financières, relatif à la Cour de
discipline budgétaire et financière ;
Vu la lettre du 23 mars 1994, enregistrée au Parquet le même jour, par laquelle la Cour
des comptes, sur déféré décidé par la sixième chambre dans sa séance du 10 janvier 1994 et
transmis par lettre signée de son président, a saisi la Cour de discipline budgétaire et
financière d'irrégularités constatées dans la gestion de l'établissement public A. ;
Vu le réquisitoire en date du 11 mai 1994 par lequel le Procureur général près la Cour
des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, a transmis le
dossier à la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu la décision du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 16 mai
1994 désignant comme rapporteur M. Lasvignes, maître des requêtes au Conseil d'Etat ;
Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée du 18 novembre 1994 par laquelle
le Procureur général a informé M. X., ancien président ou "directeur général", de
l'établissement public A. et président-directeur général de la société A. SA, de l'ouverture
d'une instruction et l'a avisé qu'il était autorisé à se faire assister soit par un mandataire, soit
par un avocat ou un avoué, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;
Vu l'avis émis le 1er mars 1996 par le ministre délégué au budget, porte-parole du
Gouvernement ;
Vu les conclusions du Procureur général, en date du 20 juin 1996, renvoyant M. X.
devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu la lettre, en date du 4 septembre 1996, du Président de la Cour de discipline
budgétaire et financière au ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications, lui
indiquant qu'aux termes de l'article L. 314-8 du code des juridictions financières, le dossier est
communiqué à la commission administrative paritaire compétente ; attendu qu'en l'absence
d'avis de la commission administrative paritaire dans un délai d'un mois, la Cour de discipline
budgétaire et financière peut statuer, en application de l'article L. 314-8 du code des
juridictions financières ;
Vu l'avis émis le 15 octobre 1996 par le ministre de l'industrie, de la poste et des
télécommunications ;
Vu la décision du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 16
octobre 1996 désignant comme rapporteur M. Japiot, auditeur au Conseil d'Etat, en
remplacement de M. Lasvignes ;
Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée en date du 23 octobre 1996, du
secrétaire général de la Cour de discipline budgétaire et financière avisant M. X. qu'il pouvait
prendre connaissance du dossier, dans un délai de quinze jours, soit par lui-même, soit par un
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mandataire, soit par un avocat ou un avoué, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour
de cassation ;
Vu les accusés de réception des lettres du Procureur général en dates des 4 décembre
1996 et 9 janvier 1997 citant M. X. à comparaître devant la Cour de discipline budgétaire et
financière, lui précisant qu'en l'absence de demande contraire de sa part, l'audience de la Cour
n'aurait pas de caractère public ;
Vu le mémoire en défense et le mémoire de production de pièces complémentaires
présentés pour M. X., enregistrés au greffe de la Cour les 20 et 24 janvier 1997 ;
Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier, et notamment le procès-verbal
d'audition et le rapport d'instruction établi par M. Lasvignes ;
Entendu M. Japiot en son rapport ;
Entendu le Procureur général en ses conclusions et réquisitions ;
Entendu en leurs plaidoiries Me Piwnica et Me Vidal-Naquet, et en ses explications et
observations M. X., l'intéressé et ses conseils ayant eu la parole les derniers ;
Sur les irrégularités :
Considérant que les irrégularités ayant affecté la gestion de l'établissement public A.
ont trait au versement d'une indemnité compensatrice de préavis aux agents de cet
établissement public à caractère administratif lors de la transformation de ce dernier en société
anonyme A. ; que cette transformation a été effectuée le 1er novembre 1989, en application du
décret du 19 avril 1989 ;
Considérant que, dans le cadre de cette opération, les conditions de transfert des
personnels de l'établissement public à la nouvelle société ont été précisées, à la demande du
ministre de l'industrie et de l'aménagement du territoire, par une lettre du ministre d'Etat,
ministre de la fonction publique et des réformes administratives en date du 12 mai 1989 ; qu'il
a ainsi été prévu que les agents de l'établissement qui accepteraient d'être recrutés par la
société A. par un contrat de droit privé à durée indéterminée, ne pourraient pas percevoir
d'indemnité de licenciement dès lors que leur nouvelle rémunération serait au moins égale à
celle qu'ils percevaient antérieurement ; que les agents qui refuseraient une telle proposition
de recrutement seraient considérés comme démissionnaires ; qu'enfin, les agents auxquels la
société A. ne proposerait pas un recrutement seraient regardés comme licenciés par
l'établissement public dans des conditions leur ouvrant droit à une indemnité de licenciement
conformément aux dispositions des articles 50 et suivants du décret n° 86-83 du 17 janvier
1986 modifié relatif aux dispositions générales applicables aux agents non titulaires de l'Etat ;
Considérant que trente des quarante-trois agents de l'établissement public ont accepté
le contrat de travail qui leur a été proposé par la société A. ; que d'autres agents ont refusé de
signer un contrat de travail à durée indéterminée avec cette société, mais ont néanmoins
accepté de conclure un contrat à durée déterminée, afin de terminer les travaux en cours ; que
le licenciement de l'ensemble des agents contractuels de l'établissement public est intervenu le
30 octobre 1989 ; que tous les contrats de travail conclus avec la société anonyme A. ont pris
effet le 1er novembre 1989 ;
Considérant que les agents de l'établissement public A. étaient des agents non titulaires
de droit public, régis par les dispositions du 3e alinéa de l'article 3 de la loi n° 84-16 du 11
janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ; que
l'établissement A. était, avant sa dissolution, un établissement public à caractère administratif
inscrit sur la liste annexée au décret n° 84-38 du 18 janvier 1984 ; qu'ainsi, il était autorisé à
recruter des agents non titulaires pour pourvoir les emplois permanents ; que le décret n° 81-
897 du 2 octobre 1981 créant l'établissement public A. a donné compétence au conseil
d'administration de cet établissement pour arrêter les modalités de recrutement, de
rémunération et d'emploi du personnel ; qu'un règlement du personnel a été adopté par le
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conseil d'administration de l'établissement public A. en avril 1983 et approuvé par les
autorités de tutelle ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1er du décret du 17 janvier 1986 précité : "Les
dispositions du présent décret s'appliquent aux agents non titulaires de droit public de l'Etat et
ses établissements publics à caractère administratif [...] recrutés ou employés dans les
conditions définies aux articles 3 (2e, 3e et 6e alinéa) [...] de la loi du 11 janvier 1984 susvisée
[...]. Les dispositions réglementaires en vigueur à la date de publication du présent décret
continuent à s'appliquer au personnel qu'elles régissent si elles sont plus favorables" ; qu'il
résulte de ces dispositions qu'à la date de leur licenciement, le 30 octobre 1989, les agents de
l'établissement public A. étaient régis, d'une part, par le décret du 17 janvier 1986 et, d'autre
part, par le règlement du personnel susmentionné d'avril 1983, lorsque ses dispositions étaient
plus favorables que celles du décret du 17 janvier 1986 ;
Considérant que les agents de l'établissement public étaient fondés à exiger le respect
des délais de préavis prévus par les dispositions de l'article 46 du décret précité du 17 janvier
1986, variant de huit jours à deux mois selon l'ancienneté des agents concernés ; que le
règlement du personnel de l'établissement prévoyait, dans son article 28, un délai de préavis
de trois mois pour certaines catégories d'agents ; qu'il résulte de l'instruction qu'aucun agent
de l'établissement n'a bénéficié de ces délais de préavis prévus par la réglementation en
vigueur ;
Considérant que si les dispositions de l'article L. 122-8 du code du travail prévoient
que l'inobservation du délai de préavis ouvre droit à une indemnité compensatrice, ces
dispositions ne sont cependant pas applicables aux agents non titulaires de droit public ; qu'en
outre, aucune disposition du décret du 17 janvier 1986 précité ou du règlement du personnel
de l'établissement public A., ni aucune autre disposition réglementaire ou législative, ni aucun
principe général du droit, ne prévoyaient le versement d'une indemnité compensatrice de
préavis au profit des agents de l'établissement public A. recrutés par la société A. ; que, dès
lors, l'inobservation par l'établissement public du délai de préavis ne pouvait engager la
responsabilité pécuniaire de cet établissement que dans les conditions du droit commun de la
responsabilité administrative ; qu'ainsi, le montant de l'indemnité devait être fixé au regard de
la situation individuelle de chaque agent, compte tenu du préjudice réellement subi par celui-
ci du fait du non-respect du délai de préavis ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'à la suite d'une action de revendication des
agents concernés, M. X. a, par une note du 2 novembre 1989, étendu aux trente agents
recrutés par la société anonyme A. le bénéfice de l'indemnité compensatrice de préavis qu'il
n'avait accordée le 18 octobre 1989 qu'aux agents ayant refusé le contrat de travail à durée
indéterminée proposé par la nouvelle société et ayant accepté seulement un contrat à durée
déterminée ; que cette indemnité a été calculée forfaitairement pour tous les agents sur la base
d'une durée de préavis de trois mois sans examen du préjudice réellement subi par chacun des
agents ; qu'en particulier, cette indemnité forfaitaire a été versée aux trente agents, soit les
trois-quarts de l'effectif de l'établissement, qui ont été recrutés immédiatement après leur
licenciement par la société A. et n'ont donc subi aucun préjudice résultant de l'inobservation
du délai de préavis par l'établissement ; qu'au total, le versement de cette indemnité à
l'ensemble des agents de l'établissement a représenté une dépense de 1,9 million de francs, qui
a dû être financée par une subvention de l'Etat accordée par une décision du ministre de
l'industrie en date du 8 décembre 1989, prélevée sur les crédits ouverts au chapitre 64-96 du
budget du ministère ;
Considérant que si M. X. soutient que le versement de ces indemnités compensatrices
de préavis a évité un contentieux qui aurait pu conduire le juge administratif à condamner
l'établissement à verser les indemnités de licenciement prévues par l'article 28 du règlement
du personnel de l'établissement public A., plus favorable sur ce point que le décret précité du
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17 janvier 1986, une telle circonstance, même à la supposer établie, serait sans incidence sur
le caractère irrégulier du versement des indemnités compensatrices de préavis ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la décision d'étendre aux trente agents
recrutés par la société A. le bénéfice de l'indemnité compensatrice de préavis constitue une
infraction aux règles relatives à l'exécution des dépenses au sens de l'article L. 313-4 du code
des juridictions financières ; qu'en outre, cette décision a procuré aux agents concernés un
avantage injustifié, entraînant un préjudice tant pour l'organisme que pour le Trésor qui a en
définitive supporté la dépense ; qu'ainsi, elle tombe également sous le coup des dispositions
de l'article L. 313-6 du code des juridictions financières ;
Sur les responsabilités :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la décision d'étendre le bénéfice de
l'indemnité compensatrice de préavis aux trente agents recrutés par la société A. sur des
contrats de travail à durée indéterminée a été prise par M. X., et non par le conseil
d'administration de l'établissement public ; que la circonstance que M. X. aurait obtenu un
accord verbal d'un membre du cabinet du ministre de l'industrie est sans incidence sur sa
propre responsabilité ;
Considérant qu'il y a lieu toutefois d'examiner s'il existe des circonstances de nature à
atténuer la responsabilité de M. X. ;
Considérant, en premier lieu, qu'à l'époque des faits reprochés à M. X., la
transformation d'un établissement public administratif en société anonyme soulevait des
questions juridiques nouvelles et délicates ; que cette circonstance explique qu'il ait pu
estimer que le versement d'indemnités compensatrices de préavis n'était pas illégal ;
Considérant, en second lieu, que le versement des indemnités compensatrices, dont M.
X. lui-même n'a pas bénéficié, en enrayant la dégradation du climat social de l'établissement,
a pu contribuer à faciliter les opérations de transformation de l'établissement public A. en
société anonyme ;
Considérant, en dernier lieu, que postérieurement à la décision prise par M. X. le 2
novembre 1989 de verser l'indemnité compensatrice de préavis à tous les agents de
l'établissement public A., le ministre de l'industrie, des postes et télécommunications et le
ministre délégué au budget ont rapidement accepté d'allouer une subvention à la société A.
afin de financer le versement des indemnités irrégulières ; qu'en outre, ils ont demandé à la
Cour de reconnaître des circonstances atténuantes au bénéfice de M. X. ;
Considérant que l'ensemble de ces circonstances sont de nature à atténuer la
responsabilité de M. X. ; qu'ainsi, il sera fait une juste appréciation des irrégularités
imputables à M. X. en condamnant celui-ci au paiement d'une amende de 2 000 F ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de publier le présent arrêt
au Journal officiel de la République française ;
ARRETE :
Article 1er : M. X. est condamné à une amende de 2 000 F.
Article 2 : Le présent arrêt ne sera pas publié au Journal officiel de la République
française.
Fait et jugé en la Cour de discipline budgétaire et financière le vingt-neuf janvier mil
neuf cent quatre-vingt-dix-sept.
Présents : M. Joxe, Premier président de la Cour des comptes, président ; M. Massot,
Président de la section des finances du Conseil d'Etat, vice-président ; MM. Galmot et
Fouquet, conseillers d'Etat, MM. Gastinel et Capdeboscq, conseillers maîtres à la Cour des
comptes, membres de la Cour de discipline budgétaire et financière ; M. Japiot, auditeur au
Conseil d'Etat, rapporteur.
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En conséquence, la République mande et ordonne à tous huissiers de justice sur ce
requis de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la
République près les tribunaux de grande instance d'y tenir la main, à tous commandants et
officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu'ils en seront légalement requis.
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le Président de la Cour et le Greffier.
Le Président,
Le Greffier,
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