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Cour de discipline budgétaire et financière
Arrêt du 27 novembre 1996, Ministère de la justice, marchés de prestations
informatiques
N° 113-336
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS,
LA COUR DE DISCIPLINE BUDGETAIRE ET FINANCIERE,
siégeant à la Cour des comptes en audience non publique, a rendu l'arrêt suivant :
LA COUR,
Vu le titre Ier du livre III du code des juridictions financières relatif à la Cour de
discipline budgétaire et financière ;
Vu le réquisitoire du 6 juillet 1994 par lequel le Procureur général près la Cour des
comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, usant des
pouvoirs conférés par l'article L. 314-3 du code des juridictions financières, a saisi la Cour de
faits relevés dans l'exécution des dépenses informatiques du ministère de la justice, ensemble
la lettre du 19 avril 1994 du président de la quatrième chambre de la Cour des comptes et la
lettre enregistrée au Parquet le 27 juin 1994 du ministre (...), portant ces faits à la
connaissance du Procureur général, en application de l'article L. 314-1 du code des
juridictions financières ;
Vu la décision du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 6
juillet 1994 désignant comme rapporteur M. Sépulchre, conseiller référendaire à la Cour des
comptes ;
Vu les lettres recommandées adressées par le Procureur général, le 1er août 1994, à M.
A., ancien directeur de l'administration générale et de l'équipement au ministère de la justice,
Mme B., ancien sous-directeur de l'informatique à la direction de l'administration générale et
de l'équipement, M. C., ancien contrôleur financier, et M. D., ancien adjoint du contrôleur
financier, le 26 octobre 1994, à M. E., ancien chef du département des études et réalisations
informatiques de la division informatique, à M. F., ancien chef du bureau administratif et
financier de la même division, et à M. G., qui lui a succédé dans les mêmes fonctions, les
informant de l'ouverture d'une instruction ; ensemble les accusés de réception de ces lettres ;
Vu la lettre du 3 janvier 1996 par laquelle Mme le Procureur général a fait connaître
au Président de la Cour de discipline budgétaire et financière qu'elle estimait, après la
communication du dossier de l'affaire le 18 décembre 1995, qu'il y avait lieu de poursuivre la
procédure, ensemble les lettres adressées le 10 janvier 1996 par le Président de la Cour au
Garde des sceaux, ministre de la justice et au ministre de l'économie et des finances, en
application de l'article L. 314-5 du code des juridictions financières ;
Vu les avis émis le 5 février 1996 par le Garde des sceaux, ministre de la justice, et le
28 mars 1996 par le ministre délégué au budget, porte parole du Gouvernement ;
Vu la décision du 26 avril 1996 du Procureur général renvoyant devant la Cour, en
application de l'article L. 314-6 du code des juridictions financières, Mme B., MM. A., C., D.,
F. et E., et ne retenant pas, en revanche, la responsabilité de M. G. ;
Vu les avis émis le 10 juillet 1996 par la commission administrative paritaire des
contrôleurs financiers, le 12 juillet 1996 par la commission administrative paritaire n° 1
compétente à l'égard des agents contractuels de l'administration centrale du ministère de la
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justice, et le même jour par la commission administrative paritaire compétente à l'égard des
administrateurs civils du ministère de la justice, ensemble la lettre du 11 septembre 1996 par
laquelle le Premier président de la Cour de cassation fait connaître que le conseil supérieur de
la magistrature, dans sa formation disciplinaire compétente à l'égard des magistrats du siège, a
estimé devoir ne pas émettre d'avis sur le dossier ;
Vu l'avis émis le 21 novembre 1996 par la commission paritaire interministérielle
instituée par l'article 5 du statut particulier des administrateurs civils ;
Vu les lettres recommandées du 2 octobre 1996 par lesquelles le secrétaire de la Cour
de discipline budgétaire et financière a avisé Mme B., MM. A., C., D., F. et E. qu'ils
pouvaient dans un délai de quinze jours prendre connaissance du dossier de l'affaire, ensemble
les accusés de réception de ces lettres ;
Vu les lettres recommandées du 15 octobre 1996 par lesquelles le Procureur général a
cité Mme B., MM. A., C., D., F. et E. à comparaître devant la Cour le 27 novembre 1996, leur
précisant qu'en l'absence de demande contraire de leur part l'audience de la Cour n'aurait pas
de caractère public ; ensemble les accusés de réception de ces lettres ;
Vu les mémoires en défense qu'ont déposés au greffe de la Cour, le 12 novembre
1996, M. F., le 13 novembre 1996, M. E. et Me Jean-Yves Dupeux pour M. A., le 14
novembre 1996, M. C., et M. D., le 18 novembre 1996 Mme B., ensemble les pièces
complémentaires déposées le 19 novembre 1996 par Me Jean-Yves Dupeux pour M. A. ;
Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier, notamment les procès-verbaux
d'audition de Mme B., MM. A., C., D., F., E. et G., le procès-verbal de témoignage de Mme
H., et le rapport d'instruction de M. Sépulchre ;
Entendu M. Sépulchre en son rapport ;
Entendu Mme le Procureur général en ses conclusions et réquisitions ;
Entendu en leurs plaidoiries Me Dupeux pour M. A. et Me Brossier pour Mme B., en
leurs explications et observations Mme B., MM. A., C., D., F. et E., les intéressés et leurs
conseils ayant eu la parole en dernier ;
Sur la compétence de la Cour :
Considérant que dans son mémoire en défense M. C. soutient que la Cour de discipline
budgétaire et financière, instituée pour réprimer les actes irréguliers des ordonnateurs, ne
saurait être compétente pour juger des contrôleurs financiers à raison de faits relevant de leur
contrôle ; qu'en effet, ce contrôle ne constitue qu'un simple avis et nullement une décision
d'engagement ;
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 312-1 du code des juridictions
financières est justiciable de la Cour tout fonctionnaire ou agent civil ou militaire de l'Etat ;
que les contrôleurs financiers sont des fonctionnaires civils de l'Etat ; que si l'alinéa II du
même article spécifie limitativement la liste des personnes qui ne sont pas justiciables de la
Cour, cette liste n'inclut pas la catégorie des contrôleurs financiers ; qu'ainsi les contrôleurs
financiers sont justiciables de la Cour ;
Considérant, d'autre part, que l'infraction définie par l'article L. 313-4 du code des
juridictions financières vise toute personne qui aura enfreint les règles relatives à l'exécution
des recettes et des dépenses de l'Etat ou des autres collectivités, établissements et organismes
mentionnés à l'article L. 312-1 ; que les règles relatives aux dépenses de l'Etat comportent les
dispositions arrêtées par la loi du 10 août 1922 relative à l'organisation du contrôle des
dépenses engagées ; que l'article 5 de ladite loi dispose que toutes mesures émanant d'un
ministre ou d'un fonctionnaire de l'administration centrale et ayant pour effet d'engager une
dépense sont soumises au visa préalable du contrôleur des dépenses engagées ; que si les
mesures proposées lui paraissent entachées d'irrégularité, le contrôleur refuse son visa ; qu'il
ne peut être passé outre au refus de visa du contrôleur que sur avis conforme du ministre des
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finances ; que sans visa les ordonnances de paiement ou de délégation sont nulles et sans
valeur pour les comptables du Trésor ; que, dès lors, le visa n'a pas la portée d'un simple avis
mais participe à la décision d'engagement ; qu'ainsi le fait pour un contrôleur financier
d'accorder son visa à une proposition de dépense entachée d'irrégularité constitue une
infraction définie et réprimée par l'article L. 313-4 ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'exception d'incompétence de la Cour
de discipline budgétaire et financière doit être rejetée ;
Sur le fond :
Lettres de commande adressées en 1989 à des prestataires de services informatiques :
Considérant qu'afin de mettre en place un nouveau schéma directeur informatique, le
ministère de la justice avait consulté, au mois de janvier 1989, des sociétés de service ou
d'ingénierie informatique ; qu'après le dépouillement des offres, en avril 1989, le ministère a
demandé aux sociétés AIRIAL, CAP SESA, GAMMA, GSI ERLI, INFI, ITREC, SILOGIA
et STERIA de commencer leurs prestations dans le cadre de marchés à commande en cours
d'élaboration ;
Considérant qu'une telle lettre a été expédiée à la société STERIA, le 9 mai 1989, sous
la signature de M. E., chef du département études et réalisations informatiques de la division
de l'informatique, et qu'une deuxième lettre a été adressée le 20 juillet 1989 à la même société,
par M. F., chef du bureau administratif et financier de la même division, précisant que les
prestations seraient à imputer sur un marché de sous-traitance en cours de rédaction ; que par
une lettre du 6 juin 1989 et deux lettres du 15 juin 1989, M. E. a demandé aux sociétés INFI,
AIRIAL et GSI-ERLI de commencer leurs prestations conformément aux marchés en cours
d'élaboration ; que le 16 juin 1989, M. E. a adressé une commande d'un montant de
1 202 980 F à la société CAP SESA TERTIAIRE, en précisant, là encore, que cette prestation
s'inscrivait dans le cadre d'un marché en cours d'élaboration ; que le 11 septembre 1989, M. E.
a saisi la société SILOGIA d'une demande de prestations rédigée dans les mêmes termes ;
Considérant que des notes de la division de l'informatique et d'un centre de traitement
de l'information faisant état de la présence de personnels sous-traitants des sociétés ITREC,
STERIA, AIRIAL, CAP SESA, GAMMA, ORACLE, SILOGIA, GSI-ERLI et INFI au sein
des services informatiques du ministère ont été adressées les 23 août et 7 novembre 1989 à
Mme B., (...) en charge de la division de l'informatique de la direction de l'administration
générale et de l'équipement ; qu'une autre note, du 8 novembre 1989, à Mme B. signalait que
la AIRIAL émettait des craintes quant au règlement dans l'exercice des prestations déjà
effectuées ;
Considérant que l'article 39 du code des marchés publics, applicable aux actes passés
par les services informatiques du ministère de la justice, prescrit de notifier un marché avant
tout commencement d'exécution ; que le fait d'inviter de futurs fournisseurs à commencer
leurs prestations avant la notification des marchés, en violation de cet article 39, constitue une
infraction aux règles d'exécution des dépenses de l'Etat sanctionnée par l'article L. 313-4 du
code des juridictions financières ; que de surcroît ces engagements sans visa préalable du
contrôleur financier sont aussi constitutifs d'infractions au sens de l'article L. 313-1 du même
code ;
Considérant qu'en signant les lettres de commande ci-dessus mentionnées aux sociétés
STERIA, INFI, AIRIAL, GSI-ERLI, SILOGIA et CAP SESA TERTIAIRE, M. E. a engagé
sa responsabilité au regard des articles L. 313-1 et L. 313-4 du code des juridictions
financières ; que si M. E. a déclaré au cours de l'instruction qu'il ne connaissait pas
précisément le code des marchés publics, il lui appartenait, compte tenu de ses attributions, de
prendre connaissance des dispositions de ce code ; que M. E. a ajouté qu'il n'a fait qu'exécuter
les directives de sa hiérarchie qu'il avait informée des procédures adoptées ; que si cette
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seconde circonstance est de nature à atténuer sa responsabilité, elle ne saurait la faire
disparaître ;
Considérant que M. F. a signé une des lettres de commande à la société STERIA et
doit être considéré comme responsable des mêmes infractions ; que M. F. soutient que les
commandes étaient faites à l'initiative des services techniques et en accord avec sa hiérarchie ;
que M. F. était notamment chargé de rédiger les actes contractuels ; qu'à ce titre, il ne pouvait
ignorer le caractère irrégulier des lettres de commande en cause ; qu'ainsi M. F. n'est pas
exonéré de sa responsabilité ;
Considérant que Mme B. a confirmé qu'elle avait été destinataire des notes ci-dessus
mentionnées et qu'elle n'avait pas donné d'instruction pour faire cesser la mise à disposition de
personnels, mais exposé qu'elle avait fait confiance à M. F. pour veiller à l'application du code
des marchés ; que, dans son mémoire en défense, Mme B. déclare qu'elle n'a pas été choquée
par cette procédure d'engagement, que l'impatience des futurs utilisateurs des applications
informatiques justifiait, selon elle, cette anticipation et que "le recours à la sous-traitance
s'imposait compte tenu de l'indigence des personnels (...)" ; que ces raisons ne sont pas de
nature à exonérer Mme B., supérieure hiérarchique de MM. E. et F., qui était informée par ses
subordonnés du commencement des prestations, de ses responsabilités au regard des articles
L. 313-1 et L. 313-4 du code des juridictions financières ;
Conclusion et exécution de marchés à commande notifiés en décembre 1989 :
Considérant que M. A., alors directeur de l'administration générale et de l'équipement
du ministère de la justice, personne responsable des marchés du ministère, a transmis le 16
octobre 1989 à la commission spécialisée des marchés d'informatique un rapport de
présentation signé par lui et huit projets de marchés à commandes avec les sociétés AIRIAL,
CAP SESA TERTIAIRE, GAMMA, GSI ERLI, INFI, ITREC, SILOGIA et STERIA, pour un
montant total de 109,46 MF hors taxes, relatifs à des prestations d'assistance à la conception
et à la réalisation d'applications informatiques ; qu'au cours de sa séance du 10 novembre
1989, à laquelle participaient MM. E. et F., représentant la personne responsable des marchés,
et M. D., alors adjoint au contrôleur financier près le ministre (...), la commission spécialisée
a donné un avis défavorable aux marchés soumis à son examen, au motif notamment qu'il ne
lui semblait "pas acceptable d'utiliser la potentialité d'un ensemble de marchés à commande
établis sans véritable cahier des charges" pour la réalisation d'une opération précise ;
Considérant que le 24 novembre 1989, M. A. a décidé de passer outre à l'avis de la
commission, au motif en particulier que l'appel à la sous-traitance présentait "un caractère
d'urgence pour respecter le planning de réalisation des applications prioritaires du schéma
directeur du ministère de la justice", en ajoutant que toute demande de prestation serait
précédée d'une nouvelle mise en concurrence et que tout bon de commande serait présenté au
visa du contrôleur financier ; que les huit marchés ont été notifiés le 8 décembre 1989, en
application des dispositions de l'article 103-4 du code des marchés publics, qui prévoyait que
des marchés négociés pouvaient être conclus dans les cas d'urgence impérieuse motivée par
des circonstances imprévisibles ;
Considérant que la mise en place d'un schéma directeur informatique ne saurait être
considérée comme une circonstance imprévisible ; que les huit marchés notifiés le 8 décembre
1989, dont l'exécution avait, de surcroît, commencé avant cette date, sont donc entachés
d'irrégularités, constitutives d'infractions aux règles d'exécution des dépenses de l'Etat,
sanctionnées par l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ;
Considérant sur ce premier point que M. A., personne responsable du marché au sens
de l'article 44 du code des marchés publics, et informé des critiques émises par la commission
spécialisée des marchés, a personnellement décidé de passer outre, en négligeant d'exercer la
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vérification qu'il revient à la personne responsable des marchés d'exercer sur la régularité de
la passation de ceux-ci, en l'espèce sur le bien fondé du recours à l'article 103-4 du code ;
Considérant que M. A. a exposé à la Cour qu'il avait accepté les modalités de
contractualisation proposées par ses services, alors en cours de réorganisation ; que l'urgence
se justifiait, selon lui, par la situation d'obsolescence des applications informatiques et
l'absence de solutions contractuelles alternatives, que ni les instances de contrôle ni le cabinet
du ministre ne lui avaient demandé d'informations complémentaires ;
Que toutefois les fonctions de direction de M. A. s'étendaient à l'organisation de la
division de l'informatique et que l'importance du dossier du schéma directeur aurait dû lui
commander de surveiller particulièrement la procédure de passation de ces marchés ; que la
responsabilité de M. A. est ainsi engagée au regard de l'article L. 313-4 du code des
juridictions financières ;
Considérant qu'après la notification des huit marchés signés le 8 décembre 1989, des
lettres de commande de régularisation ont été adressées aux fournisseurs afin de permettre
d'assurer le paiement des prestations que ceux-ci avaient effectuées antérieurement ;
Qu'une commande signée par M. F. et visée par M. D. pour le contrôleur financier,
adressée le 8 janvier 1990 à la société GSI-ERLI pour des prestations, à compter du 2 janvier
1990, d'un montant de 1 095 640 F HT, sur le fondement du marché notifié le 8 décembre
1989, se rapporte ainsi à des factures établies par la société le 29 décembre 1989 pour des
prestations effectuées "durant les mois avril et mai 1989" et "mai à septembre 1989", "factures
refaites et payées", ainsi qu'il ressort des pièces du dossier ;
Qu'une commande du 2 janvier 1990, signée par M. F. et visée par M. D., à la société
INFI GESTION pour des prestations à compter du même jour, d'un montant de 950 000 F se
rapporte de même à des prestations effectuées entre juin 1989 et janvier 1990, ainsi que
l'établissent des registres du service faisant référence à une "proposition de facturation à faire
à INFI sur janvier 90" ;
Considérant que l'établissement de ces commandes de régularisation, présentées de
manière fallacieuse, constitue une infraction au code des marchés publics, qui tombe sous le
coup de l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ;
Considérant sur ce deuxième point que M. F., en signant les deux commandes de
prestations susmentionnées a engagé sa responsabilité au regard de l'article L. 313-4 ; que M.
F. a soutenu qu'il aurait établi ces commandes en l'absence d'autres moyens disponibles pour
rémunérer les prestations déjà effectuées et que sa hiérarchie en était avisée, mais que ces
explications ne justifient pas le caractère fallacieux de la présentation faite de la date des
prestations ;
Considérant que M. D. a fait valoir sans être contredit par les pièces du dossier que la
division de l'informatique lui avait dissimulé le commencement d'exécution des prestations
sur lesquelles portaient les commandes à GSI-ERLI et INFI GESTION, que sa responsabilité
n'est donc pas engagée ;
Considérant que des commandes ont été adressées à différentes sociétés afin de
permettre, par refacturation entre prestataires de services, le règlement de prestations
effectuées par des fournisseurs retenus le 8 décembre 1989 pour lesquels le montant
maximum des marchés était atteint ; qu'il en est ainsi de commandes adressées aux sociétés
CAP SESA, STERIA et META pour régulariser des prestations effectuées par les sociétés
GAMMA et SILOGIA ;
Considérant, en effet, que par lettre du 23 novembre 1990 Mme B., chef de la division
de l'informatique, a confirmé à la société GAMMA International que le montant des
prestations restant à régulariser au profit de celle-ci s'élevait à 3 403 500 F et que la
facturation correspondante serait imputée, d'une part, sur un avenant du marché du 8
décembre 1989 et, d'autre part, "sur le marché en cours avec la société CAP-SESA" ; que la
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division de l'informatique avait passé commande, le 3 septembre 1990, à la société CAP
SESA Tertiaire, de prestations d'assistance conseil aux applications (...) pour un montant de
4 973 027,08 F ; que la lettre de commande a été signée par M. F. ; que Mme B. et M. F. ont
reconnu que cette commande était en réalité destinée à GAMMA, dont la créance sur le
ministère atteignait 4 865 649 F au 31 décembre 1990 ; que les dispositions arrêtées par la
division de l'informatique revenaient à régler les sommes dues à GAMMA après épuisement
du marché, par l'intermédiaire d'une autre à laquelle étaient adressées des commandes, qui
revêtaient dès lors le caractère de commandes fictives ;
Considérant que ces pratiques se sont poursuivies en 1991 ; qu'une commande à CAP-
SESA Tertiaire, d'un montant de 1 900 568,68 F, en date du 13 septembre 1991, dont la
signature est illisible mais qui émane de la division de l'informatique et porte le visa de M. D.,
se réfère à des prestations effectuées (...) à compter du 2 avril 1991, soit cinq mois plus tôt ;
que la société CAP SESA Tertiaire a adressé au ministère une facture de même montant le 16
septembre 1991 ; qu'ont été versées au dossier des factures d'honoraires du 30 septembre 1991
adressées par GAMMA International à CAP SESA Tertiaire pour "prestations dans le cadre
des applications informatiques (...)" dont le montant est de 1 900 568,68 F ;
Que M. A. a été informé, le 6 août 1991, par une note de ses services que le ministère
était redevable à SILOGIA de prestations pour un montant approchant 3 MF, que les
prestations ne pouvaient être interrompues et que la structure du groupe auquel appartenait
SILOGIA permettait "de monter plusieurs marchés, tous inférieurs au seuil CSMI" afin
d'apurer cette dette ; que quatre commandes distinctes de la division de l'informatique, visées
par M. D., d'un montant total de 2 299 056,70 F TTC ont été adressées le 1er octobre 1991 à
la société STERIA pour des prestations à effectuer à compter de la même date ; qu'a été
versée au dossier une facture d'un montant identique que la société SILOGIA a adressé le 30
novembre 1991 à la société STERIA, au sujet de prestations d'assistance technique au
ministère A ; que Mme B. a reconnu qu'elle avait accepté ce montage ;
Considérant que M. A. et Mme B. ont été informés le 5 décembre 1991 par une note
d'un bureau de la sous direction de l'informatique qu'un marché du 15 novembre 1991 avec
META Informatique était, en réalité, "le dernier des marchés de régularisation avec
SILOGIA" ; qu'en toute connaissance de cause, M. A. a certifié le 3 février 1992 que la
prestation avait été réalisée par META Informatique du 18 novembre au 31 décembre 1991 et
en a prononcé la recette définitive ;
Considérant que le fait de faire payer les prestations des sociétés GAMMA
International et SILOGIA par l'intermédiaire de prête-nom, CAP SESA Tertiaire, STERIA et
META Informatique, constitue une infraction aux règles relatives à l'exécution des dépenses
de l'Etat, en particulier à l'article 75 du code des marchés publics qui impose de déterminer
aussi exactement que possible les spécifications et la consistance des prestations qui font
l'objet des marchés avant tout appel à la concurrence ou toute négociation, infraction
sanctionnée par l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ;
Considérant sur ce troisième point que Mme B., en signant la lettre du 23 novembre
1990 à la société GAMMA pour l'aviser de la procédure de substitution de marchés et en
laissant la division informatique qu'elle dirigeait établir les lettres de commande du 3
septembre 1990 à CAP-SESA Tertiaire et du 1er octobre 1991 à STERIA pour régler des
prestations dues à d'autres sociétés, a engagé sa responsabilité au regard de l'article L. 313-4
du code des juridictions financières ; que le signataire de la commande du 3 septembre 1990,
M. F., voit lui aussi sa responsabilité engagée sur le même fondement ; que M. F. a exposé à
la Cour que les commandes fictives avaient été engagées par Mme B. et qu'elles avaient
continué après son départ du service de l'informatique le 18 avril 1991 ; que Mme B. a
soutenu, pour sa part, que son service ou elle-même avaient eu recours à des solutions
irrégulières pour régler des situations ponctuelles et exceptionnelles ; que, par leurs fonctions
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mêmes, Mme B. et M. F. ne pouvaient ignorer le caractère irrégulier du procédé qu'ils
mettaient en oeuvre ;
Qu'en laissant la division informatique de sa direction établir les commandes du 1er
octobre 1991 alors qu'il avait été informé de leur caractère fallacieux, puis en certifiant le 3
février 1992 un service fait par la société META Informatique qu'il savait ne pas correspondre
à une prestation fournie par cette société, M. A. a engagé sa responsabilité au regard de
l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ; que M. A. a exposé à la Cour qu'il
n'avait pas perçu, à l'époque, qu'il violait des règles juridiques ; que le directeur de
l'administration générale et de l'équipement ne pouvait pas ne pas percevoir le caractère
irrégulier du montage que les notes de ses services lui proposaient de façon très claire ;
Que M. D., qui bénéficiait d'une délégation de signature du contrôleur financier, ne
pouvait ignorer, au vu des dates, que la commande du 13 septembre 1991 à CAP-SESA
Tertiaire qu'il a visée régularisait des prestations antérieures, même s'il a pu ignorer que le
destinataire de la commande était en réalité un prête-nom, comme il a pu l'ignorer pour les
commandes du 1er octobre 1991 ; que sa responsabilité est engagée de ce fait au sens de
l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ; que M. D. a exposé à la Cour que les
bons de commande auraient pu ne pas être soumis au contrôle financier ; que toutefois dès
lors que d'un commun accord l'ordonnateur et le contrôleur financier avaient décidé que les
lettres de commande, qui constituaient des engagements de l'Etat vis-à-vis de ses fournisseurs,
seraient soumises au visa du contrôleur financier, les dispositions de l'article 5 de la loi du 10
août 1922 s'appliquaient et qu'en conséquence le contrôleur financier devait refuser son visa si
ces engagements de dépenses lui paraissaient entachés d'irrégularité ;
Marchés négociés du 31 décembre 1991 :
Considérant que le 31 décembre 1991 trois marchés signés par M. A., directeur de
l'administration générale et de l'équipement, et visés par M. D. pour le contrôleur financier ont
été notifiés à la société BULL pour un montant total de 3 419 912 F, porté par avenant à
3 612 318,80 F ; qu'un seul des trois marchés, d'un montant de 1,8 MF, a été présenté à la
commission spécialisée des marchés d'informatique ; que le montant des deux autres marchés,
807 922 F chacun, était, en effet, inférieur au seuil de saisine de la commission spécialisée des
marchés d'informatique, qui était à l'époque de 1 MF ;
Considérant que le premier marché était relatif à des missions d'expertise,
d'optimisation et préparation de l'administration de base de données relationnelles dans un
environnement GCOS7/TDS ORACLE et UNIX ORACLE ; que les deux autres marchés
portaient sur la mise en oeuvre d'environnements systèmes sous GCOS7/VS pour l'application
(...) et sur la mise en oeuvre de bases de données relationnelles sous GCOS7/TDS et
ORACLE V6 pour l'intégration de l'application (...) et la préparation de la réalisation de
l'application (...) ;
Qu'il ressort du dossier que le service informatique du ministère avait demandé une
prestation unique et complète à des intervenants nommément désignés et qu'une fiche
"demande d'assistance informatique" mentionnait le fournisseur BULL et un montant de
prestation de 3 670 022,33 F ; que figure aussi au dossier une "liste des dépenses" au 17
décembre 1991, date antérieure à la notification des marchés, qui mentionne les mêmes noms
d'intervenants sous la dénomination unique "BULL - assistance système GCOS7" pour une
période allant de juillet à décembre 1991, et pour le même montant de 3 670 022,33 F ; que
l'ensemble de ces documents établit qu'il s'agit d'une unique prestation et qu'elle était
entièrement exécutée avant la notification des marchés ;
Considérant que les trois marchés passés avec la société BULL ont, par conséquent,
été notifiés au fournisseur après leur complète exécution, en violation des dispositions de
l'article 39 du code des marchés publics et qu'une seule et même prestation à été découpée
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artificiellement en trois marchés, dont deux étaient inférieurs au seuil de saisine de la
commission spécialisée des marchés d'informatique ; que cette double irrégularité constitue
une infraction aux règles d'exécution des dépenses de l'Etat sanctionnée par l'article L. 313-4
du code des juridictions financières ;
Considérant que la responsabilité de cette infraction incombe principalement à M. A.,
en tant que personne responsable et signataire des marchés ; que Mme B., responsable de la
sous-direction informatique, a indiqué au cours de l'instruction qu'elle avait été au courant de
ces pratiques de fractionnement et de régularisation, qui lui semblaient avoir été couramment
employées, et que sa responsabilité est engagée aussi ;
Considérant que M. D. a visé les marchés en cause ; qu'il a soutenu devant la Cour que
les sujets des commandes étaient complémentaires mais faisaient appel à des qualifications
différentes et que, dès lors, s'il avait émis des réserves sur la complémentarité des trois études,
il aurait exercé un contrôle en opportunité qui excédait l'habilitation découlant de la loi du 10
août 1922 ; que l'exécution anticipée du marché a pu lui être dissimulée par la direction de
l'administration générale et de l'équipement ; qu'en revanche, l'intitulé analogue de l'objet des
deux derniers marchés, leur signature le même jour et leur montant identique auraient dû le
conduire à constater un fractionnement artificiel de la commande ; qu'en apposant son visa sur
des marchés entachés d'irrégularité, il a engagé sa responsabilité au regard de l'article L. 313-4
du code des juridictions financières ;
Passation d'autres marchés de régularisation :
Considérant que de nombreux autres marchés ont été passés en régularisation,
contrairement aux dispositions de l'article 39 du code des marchés publics ;
Considérant qu'il en est ainsi d'un marché notifié le 18 juillet 1990 à la société
JISTRAL pour la maintenance de matériels informatiques SECRETEX 2200, marché signé
par M. A. et visé par M. D. ; que le marché comporte un article 3 intitulé expressément
"régularisation" aux termes duquel l'administration devait payer au titulaire les prestations de
maintenance qu'il avait effectuées du 24 février 1989 au 12 juin 1990 et pour lesquelles des
factures d'un montant total de 2 349 239,77 F avaient été émises le 15 juin 1990 ; que ni le
signataire ni le contrôleur financier ne pouvaient donc ignorer que l'acte contractuel était
passé en violation de l'article 39 du code des marchés publics ;
Qu'un marché négocié passé en application de l'article 103-4 du même code et notifié
le 19 décembre 1991 à la société THOMAINFOR pour la maintenance de matériels GOUPIL
a été signé par M. A. et visé par M. D. ; que ce marché comporte de même un article 3 intitulé
"régularisation" aux termes duquel les interventions de dépannages exécutées par le titulaire à
compter du 15 juillet 1991 jusqu'à la date de la notification lui seraient réglées jusqu'à
concurrence de 450 000 F HT ;
Qu'un marché négocié notifié le 16 mars 1992 à la société INTEGRO Advanced
Computers Systems, signé par M. A. et visé par M. D., comportait un article 3 aux termes
duquel les prestations assurées par le titulaire depuis le 3 décembre 1991 jusqu'à la date de la
notification lui seraient réglées "au titre de la régularisation" ; que le service informait la
société INTEGRO, le 7 juillet 1992, que le montant disponible sur le marché ne permettait
pas de régler la totalité de sa facture du 17 mars 1992 ; qu'un second marché négocié, signé
par M. A. et visé par M. D., notifié le 2 novembre 1992, comportait une clause de
régularisation à hauteur de 834 993,35 F TTC pour les prestations assurées par le titulaire
depuis le 4 mai 1992 jusqu'à la date de la notification ;
Qu'un marché négocié, signé par M. A. et visé par M. D., notifié le 27 avril 1992 à la
société SIEMENS NIXDORF Information Systems, spécifie en son article 3 que les
prestations assurées par le titulaire depuis le 1er juillet 1991 jusqu'à la date de la notification
"lui seront réglées de façon forfaitaire, au titre de la régularisation" ; que la facture émise le
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11 août 1992 par SIEMENS NIXDORF au titre de ce marché, pour un montant de
4 313 220,37 F, se rapporte, de fait, à des prestations effectuées sur la période courant du 1er
juillet 1991 au 27 avril 1992 ; que l'ordonnance de paiement du 4 novembre 1992 a été visée
par M. C., contrôleur financier ;
Considérant sur ce premier point que les marchés de régularisation énumérés ci-
dessus, avec les sociétés JISTRAL, THOMAINFOR, INTEGRO et SIEMENS NIXDORF ont
été passés en violation de l'article 39 du code des marchés publics ; que leur signature et leur
visa constituent des infractions sanctionnées par l'article L. 313-4 du code des juridictions
financières qui engagent les responsabilités de M. A. qui les a signés et de M. D. qui les a
visés ;
Considérant que M. A. a exposé à la Cour que les irrégularités relevées pour les
marchés antérieurs à 1992 résultaient de défaillances du service de l'informatique et de
l'équipement et que les délais de préparation de marchés de maintenance nationaux de 1992
avaient été plus longs que prévu ; que les circonstances qu'il invoque n'exonèrent pas M. A.
de sa responsabilité au titre du devoir de surveillance qui s'attachait à ses fonctions ; que les
défaillances de ses services, manifestes dès la signature du marché de 1990, auraient dû au
contraire l'inciter à engager rapidement une action pour mettre fin à ces irrégularités ;
Considérant que M. D. a admis devant la Cour qu'il avait manifesté en la matière une
indulgence excessive motivée par son souci de la continuité du service public ; qu'il a soutenu
que l'absence de paiement de ces marchés de maintenance aurait entraîné un arrêt des
prestations et que le ministre du budget aurait autorisé sans difficulté les régularisations si
elles lui avaient été demandées ; que les circonstances évoquées, à supposer qu'elles soient
établies, n'exonèrent pas M. D. de sa responsabilité ; que l'article 5 de la loi du 10 août 1922
impose, en effet, au contrôleur financier de refuser de viser si les mesures proposées lui
paraissent entachées d'irrégularité ; qu'en l'espèce, l'irrégularité était manifeste et n'était
d'ailleurs nullement dissimulée par l'ordonnateur ;
Considérant que M. C. a visé l'ordonnance de paiement réglant le marché avec
SIEMENS NIXDORF dont l'engagement était irrégulier ; que M. C. était toutefois dans une
situation difficile pour s'opposer au paiement d'un marché dont l'engagement avait été autorisé
par son adjoint, délégataire de sa signature ; que ce fait, s'il ne peut l'exonérer totalement de sa
responsabilité, atténue largement celle-ci ;
Considérant que M. F. a retourné le 13 décembre 1990 à la société HEWLETT
PACKARD des factures établies au titre d'un marché du 8 novembre 1990 mais relatives à
des prestations réalisées antérieurement, notamment en avril 1990, et a invité l'entreprise à ne
faire apparaître aucune date antérieure au 8 novembre 1990 ;
Considérant, sur ce deuxième point, que la demande faite à un fournisseur de porter
sur ses factures des dates de prestations qui ne correspondent pas à la réalité constitue une
infraction aux règles d'exécution des dépenses de l'Etat, qui engage la responsabilité de M. F.
au regard de l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ;
Considérant que Mme B. a signé deux marchés notifiés à la société JWS JACKSON le
11 septembre 1991 ; que Mme B. ne disposait pas de la délégation de signature lui permettant
de se substituer à la personne responsable du marché ; que les pièces du dossier établissent
que les marchés concernaient des prestations effectuées pour partie entre les mois de juillet
1990 et mai 1991 ;
Considérant sur ce troisième point que la signature d'actes engageant l'administration
sans disposer d'une délégation de signature est une infraction au sens de l'article L. 313-3 du
code des juridictions financières ; que Mme B. a exposé qu'elle avait signé ces marchés par
erreur et que le service de la comptabilité lui ayant signalé le fait, elle n'en a plus signé ; que
cette circonstance peut atténuer sa responsabilité au regard de l'article L. 313-3 du code des
juridictions financières, mais qu'elle ne pouvait ignorer que les actes en cause régularisaient
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des prestations déjà effectuées pour partie ; que sa responsabilité est, dès lors, engagée au
regard de l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ;
Considérant que le 8 décembre 1992 M. C. a refusé de viser trois projets de marché
avec la société BULL au motif que, selon les renseignements communiqués par les services,
ladite société avait commencé ses prestations avant que l'administration eût choisi le titulaire
dudit marché ; que le même jour il a refusé, pour le même motif, de viser quinze marchés
avec les sociétés AMR, GEMINI CONSULTING, STERIA et ITREC ; qu'il a refusé de viser
cinq autres marchés pour le même motif le 11 décembre 1992, et huit nouveaux marchés le
24 décembre 1992 ; qu'en définitive 43 marchés passés en régularisation pour un montant
total de 68 MF n'ont été visés que sur autorisation expresse du ministre chargé du budget en
date du 8 janvier 1993 ;
Considérant qu'en présentant au contrôle financier ces 43 marchés relatifs à des
prestations qui avaient connu au moins un commencement d'exécution en violation des
dispositions de l'article 39 du code des marchés publics, M. A. a engagé sa responsabilité au
regard de l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ;
Considérant que M. A. a soutenu devant la Cour que ces faits découlaient
principalement du retard pris par la sous-direction de l'informatique, du fait notamment d'un
manque de moyens qu'il rattache à une absence d'arbitrage du budget informatique en faveur
du schéma directeur de la part du cabinet, ce qui aurait rendu nécessaire une réorganisation du
pilotage des projets informatiques ; que toutefois M. A. a reconnu qu'il n'avait pas informé le
cabinet au début de l'année 1992 que des prestations importantes n'avaient plus de support
contractuel et que les circonstances évoquées ne sont pas dès lors de nature à l'exonérer de ses
responsabilités ;
Sur les responsabilités :
Considérant que les irrégularités analysées ci-dessus ont été commises dans le cadre de
la gestion des nombreux marchés relatifs à la réalisation d'un plan d'informatisation du
ministère de la justice, mis au point en 1990 mais qui a dû être abandonné en décembre 1992 ;
que les difficultés de conception et de mise en oeuvre, qui avaient été gravement sous-
estimées, ne peuvent justifier les infractions à la réglementation des marchés publics ;
Considérant que les infractions relevées doivent, au premier chef, être imputées à
M. A., en sa qualité de directeur de l'administration générale et de l'équipement du ministère
de la justice, ayant notamment autorité sur la division de l'informatique, devenue en 1992 la
sous-direction de l'informatique, et sur les services administratifs participant à l'exécution des
opérations de dépenses, ainsi qu'en sa qualité de personne responsable des marchés du
ministère au sens de l'article 44 du code des marchés publics ;
Que sa responsabilité est entière dès lors qu'il a été rendu destinataire de documents
faisant état d'irrégularités qu'il n'a pas fait cesser et qu'il a signé lui-même des documents
entachés d'irrégularités ; que sa responsabilité est engagée aussi à raison du défaut de
surveillance sur ses services et ses subordonnés qui peut lui être reproché et à raison des
indications inexactes qu'il a données au contrôle financier sur différents engagements
présentés au visa ;
Considérant qu'une partie des mêmes faits doit être imputée à Mme B., alors chef de la
division de l'informatique puis sous-directeur de l'informatique, qui avait notamment autorité
sur le bureau administratif et financier et sur le département des études et des réalisations
informatiques ;
Que Mme B. a signé elle-même des documents entachés d'irrégularités ; qu'elle était
pleinement informée des pratiques irrégulières imputables à la division de l'informatique et
qu'elle ne les a pas fait cesser ; que, d'une façon générale, ses fonctions lui faisaient une
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obligation de se tenir au courant de l'avancement des prestations demandées aux sociétés de
services informatiques ;
Considérant que M. F., alors chef du bureau administratif et financier de la division de
l'informatique, a rédigé et parfois signé des documents entachés d'irrégularités au regard de la
réglementation des marchés publics qu'il était dans ses attributions de faire appliquer
exactement ;
Considérant que M. E., alors chef du département des études et réalisations
informatiques de la même division, a signé, lui aussi, des documents entachés d'irrégularités ;
Considérant que M. A., Mme B., MM. F. et E. n'ont pas excipé d'un ordre écrit ne les
rendant passibles d'aucune sanction par application de l'article L. 313-9 du code des
juridictions financières ;
Considérant que M. D., adjoint au contrôleur financier, a engagé sa responsabilité en
donnant son visa à des actes d'engagement manifestement irréguliers, sans que, contrairement
aux indications données par M. D. au cours de l'instruction, M. C., contrôleur financier, qui
avait reconduit, à sa nomination, une délégation accordée par son prédécesseur, ait été tenu
par lui au courant des pratiques irrégulières ; que M. D. a été toutefois en plusieurs
circonstances informé de façon incomplète ou inexacte par l'ordonnateur ;
Considérant que si M. D. jouissait d'une délégation large en matière de dépenses
informatiques, sa signature engageait, en fait, le contrôleur financier ; que dès lors ce dernier,
M. C., devait s'assurer de l'exacte application des principes régissant le contrôle financier ;
que M. C. a reconnu devant la Cour qu'il avait manqué de vigilance vis à vis de son
délégataire ; que le défaut de surveillance dont a fait preuve M. C. engage sa responsabilité au
regard de l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ; que de multiples et graves
irrégularités entachant des engagements de 1992 ont toutefois pris fin du fait des interventions
de M. C. ; que ces circonstances sont de nature à atténuer sa responsabilité ;
Considérant que les faits incriminés, qui se sont produits postérieurement au 19 avril
1989, ne sont pas couverts par la prescription instituée par l'article L. 314-2 du code des
juridictions financières ;
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'affaire en
infligeant une amende de 50 000 F à M. A., de 10 000 F respectivement à Mme B. et à M. D.,
de 5 000 F à M. F. et de 2 000 F respectivement à MM. C. et E. ;
ARRETE :
Article 1er.- M. A. est condamné à une amende de cinquante mille francs (50 000 F).
Article 2.- Mme B. et M. D. sont condamnés à une amende de dix mille francs (10 000
F) chacun.
Article 3.- M. F. est condamné à une amende de cinq mille francs (5 000 F).
Article 4.- M. C. et M. E. sont condamnés à une amende de deux mille francs (2 000
F) chacun.
Article 5.- Le présent arrêt ne sera pas publié au Journal officiel de la République
française.
Fait et jugé en la Cour de discipline budgétaire et financière le vingt-sept
novembre mil neuf cent quatre vingt seize.
Présents : M. Joxe, Premier président de la Cour des comptes, président ; M. Massot,
président de la section des finances au Conseil d'Etat, vice-président : MM. Galmot et
Fouquet, conseillers d'Etat, Gastinel et Capdeboscq, conseillers maîtres à la Cour des
comptes, membres de la Cour de discipline budgétaire et financière ; M. Sepulchre, conseiller
référendaire à la Cour des comptes, rapporteur.
En conséquence, la République mande et ordonne à tous huissiers de justice sur ce
requis de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la
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République près les tribunaux de grande instance d'y tenir la main, à tous commandants et
officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu'ils en seront légalement requis.
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président de la Cour et le greffier.
Le Président,
Le Greffier,
Pierre JOXE
Jean DEPASSE
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