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Cour de discipline budgétaire et financière
Plénière
Arrêt du 23 juillet 2012,
"Grand port maritime du Havre"
N° 184-691
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS,
LA COUR DE DISCIPLINE BUDGETAIRE ET FINANCIERE,
Siégeant à la Cour des comptes, en audience publique, a rendu l'arrêt suivant :
Vu le code des juridictions financières, notamment le titre 1
er
du livre III, relatif à la
Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu le code des ports maritimes dans sa version en vigueur au moment des faits ;
Vu le décret n°62-1587 du 29 décembre 1962 modifié portant règlement général sur la
comptabilité publique ;
Vu la lettre du 5 juillet 2010, enregistrée au Parquet général le 14 septembre 2010, par
laquelle le Président de la septième chambre de la Cour des comptes a déféré au Procureur
général près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et
financière (CDBF) des faits laissant présumer l'existence d'irrégularités dans la gestion
administrative, financière et comptable du grand port maritime du Havre intervenues au cours
des exercices 2005 à 2008, ensemble les pièces à l’appui ;
Vu le réquisitoire du 21 décembre 2010 par lequel le Procureur général a saisi la Cour
desdites irrégularités, conformément à l’article L. 314-1 du code des juridictions financières ;
Vu la décision du 15 février 2011 par laquelle le Président de la Cour de discipline
budgétaire et financière a désigné en qualité de rapporteur M. Sébastien Heintz, premier
conseiller de chambre régionale des comptes ;
Vu les lettres recommandées du 27 avril 2011 par lesquelles le Procureur général a
informé M. Jean-Pierre X, président du conseil d'administration du Port de 1998 à janvier
2009, M. Jean-Marc Y, directeur du Port de 2000 à août 2008, M. Daniel Z, agent comptable
et directeur financier du Port du 1
er
octobre 2004 au 31 décembre 2008, puis agent comptable
intérimaire jusqu’au 2 mars 2009, M. Paul A, désigné par arrêté ministériel du 23 septembre
1996 pour «
remplacer, en cas d'absence, le Directeur du Port Autonome du Havre dans ses
fonctions
», MM. Hervé B et Renaud C, agents du service finances et comptabilité du port du
Havre, de l’ouverture d’une instruction dans les conditions prévues à l’article L. 314-4 du
code des juridictions financières, ensemble les avis de réception de ces lettres ;
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Vu la lettre du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 2 janvier
2012 transmettant au Procureur général le dossier de l’affaire, après dépôt du rapport
d’instruction, conformément aux dispositions de l’article précité ;
Vu la lettre du Procureur général en date du 31 janvier 2012 informant le président de
la Cour de discipline budgétaire et financière de sa décision, après communication du dossier
de l’affaire, de poursuivre la procédure en application de l’article L. 314-4 du code des
juridictions financières ;
Vu les lettres du 2 février 2012 du Président de la Cour de discipline budgétaire et
financière transmettant le dossier pour avis au ministre de l'économie, des finances et de
l’industrie ainsi qu’au ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du
logement, en application de l'article L. 314-5 du même code, ensemble les avis de réception
de ces lettres ;
Vu la lettre du 12 mars 2012 par laquelle le Président de la Cour de discipline
budgétaire et financière a transmis au Procureur général le dossier de l’affaire, conformément
à l’article L. 314-6 du code des juridictions financières ;
Vu la décision du Procureur général près la Cour des comptes, ministère public près la
Cour de discipline budgétaire et financière, en date du 10 avril 2012, renvoyant MM. Y, X, A,
Z, B et C devant la Cour de discipline budgétaire et financière, conformément à l’article L.
314-6 du code des juridictions financières ;
Vu les lettres recommandées de la greffière de la Cour de discipline budgétaire et
financière en date du 17 avril 2012 avisant MM. Y, X, Z, A, B et C qu'ils pouvaient prendre
connaissance du dossier de l’affaire et produire un mémoire en défense dans les conditions
prévues à l'article L. 314-8 du code des juridictions financières, et les citant à comparaître le 6
juillet 2012 devant la Cour, ensemble les avis de réception de ces lettres ;
Vu les mémoires en défense produits le 21 juin 2012 par la SCP Lyon-Caen et Thiriez
pour MM. Z, A et Y ;
Vu les mémoires en défense produits le 21 juin 2012 par la SCP Seban et associés
pour MM. X, B et C ;
Vu les autres pièces du dossier, notamment les procès-verbaux d’audition et le rapport
d'instruction de M. Heintz ;
Entendu le rapporteur, M. Heintz, résumant son rapport écrit, en application des
articles L. 314-12 et R. 314-1 du code des juridictions financières ;
Entendu le représentant du ministère public, résumant la décision de renvoi, en
application des articles L. 314-12 et R. 314-1 du code des juridictions financières ;
Entendu le procureur général en ses conclusions, en application de l’article L. 314-12
du code des juridictions financières ;
Entendu en leurs plaidoiries Maître Salon de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, pour
MM. Y, Z et A, et Maîtres Hénon et Seban de la SCP Seban et associés pour MM. X, B et C,
MM. Y, X, Z, A, B et C ayant été invités à présenter leurs explications et observations, la
défense ayant eu la parole en dernier ;
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Sur la compétence de la Cour
Considérant que, selon les dispositions du I de l’article L. 312-1 du code des
juridictions financières, est justiciable de la Cour de discipline budgétaire et financière «
b)
tout fonctionnaire ou agent civil ou militaire de l’Etat, des collectivités territoriales, de leurs
établissements publics, ainsi que des groupements des collectivités territoriales ; c) tout
représentant, administrateur ou agent des autres organismes qui sont soumis soit au contrôle
de la Cour des comptes, soit au contrôle d'une chambre régionale des comptes ou d'une
chambre territoriale des comptes
» ;
Considérant qu'il résulte des dispositions combinées de l'article 1
er
du décret n° 65-936
du 8 novembre 1965, créant au port du Havre un port autonome, devenu «
grand port
maritime du Havre
» (GPMH) par décret n° 2008-1037 du 9 octobre 2008, et des articles
L. 111-4 et L. 133-1 du code des juridictions financières, que la Cour des comptes est
compétente pour assurer la vérification des comptes et de la gestion de cet établissement
public de l'État à caractère industriel et commercial doté d'un comptable public ;
Considérant dès lors que M. X ainsi que MM. Y, A, Z, B et C, respectivement
représentant et agents du grand port maritime du Havre, sont justiciables de la Cour de
discipline budgétaire et financière en application des dispositions précitées du c du I de
l’article L. 312-1 du code des juridictions financières ;
Sur la prescription
Considérant qu’aux termes de l’article L. 314-2 du code des juridictions financières :
«
la Cour ne peut être saisie après l'expiration d'un délai de cinq années révolues à compter
du jour où aura été commis le fait de nature à donner lieu à l'application des sanctions
prévues par le présent titre
» ;
Considérant que la communication du président de la septième chambre de la Cour des
comptes a été enregistrée au Parquet général près la Cour de discipline budgétaire et
financière le 14 septembre 2010 ; qu’ainsi, les irrégularités postérieures au 14 septembre 2005
ne sont pas couvertes par la prescription édictée par l'article L. 314-2 du code des juridictions
financières ;
Sur les faits, leur qualification juridique et les responsabilités
Considérant que, par délibération du 22 juin 2001, le conseil d’administration du port
autonome du Havre a décidé, au titre de la réalisation du programme « Port 2000 », d’avoir
recours à l’emprunt à hauteur de 300 millions d’euros à taux fixe, révisable ou variable indexé
sur l’Euribor 3 mois ou 12 mois ; que, par la même délibération, le conseil d’administration a
autorisé le directeur à recourir aux techniques de couverture de taux, sous réserve de lui en
rendre compte, et sous certaines conditions ;
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Considérant que, dans le cadre de la délibération précitée, sept opérations d'échange de
taux ont été conclues avec des établissements de crédit, dénommées « Tl » à « T7 », les 6
premières entre mai 2002 et décembre 2004, la dernière en juillet 2008 ;
Considérant que le contrat d'échange « T3 » a concerné un emprunt de 15 M€, conclu
en octobre 2002 au taux Beibor ; que ce contrat de type « tunnel » assurait pour le port
autonome du Havre un taux à payer compris entre un plancher de 3,5% et un plafond à 6,20 %
contre une rémunération Euribor ; que le taux reçu (Euribor 3 mois) a été, de 2002 à 2005,
inférieur au taux plancher de 3,5 % payé, et que cette couverture impliquait donc une perte
pour le port autonome au regard de la situation initiale ;
Considérant que, du fait des pertes et sur proposition du prêteur, le port autonome du
Havre a conclu en décembre 2005 une convention de réaménagement du contrat « T3 », en lui
substituant un contrat « T3 bis1 », assurant du 15 décembre 2005 au 15 juin 2008 un taux fixe
de 1,89% puis du 15 juin 2008 au 15 septembre 2027 un taux fixe de 2, 98 % si l'écart entre
les index CMS 20 ans (taux moyen à 20 ans) et CMS 2 ans (taux moyen à 2 ans) excédait
0,35%, et dans le cas contraire un taux égal à 5,70% diminué de 6 fois l’écart entre les taux
longs à 20 ans et les taux courts à deux ans ;
Considérant qu’à l’issue de la période de taux fixe, et pour éviter de payer un taux
dégradé, le port autonome a décidé de refinancer ce prêt par un contrat substitutif « T3bis2 »,
associé à un nouveau contrat « T7 » portant sur un nouvel emprunt ;
que le contrat « T3 bis
2», ainsi substitué au contrat « T3 bis 1 », a prolongé la période de taux fixe jusqu’au 15 juin
2010, à un niveau supérieur au contrat précédent (2,98%, la même formule à pente de taux
étant applicable pour les 17 annuités suivantes, sans plafond dans l’hypothèse où les taux
courts seraient supérieurs aux taux longs ;
Considérant que le contrat « T7 » entrant en vigueur en mars 2009, consécutif à la
renégociation du contrat « T3 bis 1 » a porté sur un nouvel emprunt de 35 M€ souscrit au taux
Beibor majoré de 0,16% ; que ce contrat prévoit pour le port autonome, contre une
rémunération Euribor, un taux fixe à payer de 3,12 % du 15 mars 2009 au 15 mars 2011, puis
pendant 22 ans, un taux variable à payer égal à 5,52 % moins 5 fois l’écart entre l’inflation de
la zone euro et celle de la France, si cette dernière excède 1,15%, ou, dans le cas contraire, de
5,52% moins 5 fois l’écart entre l’inflation de la zone euro et 1,15% ; que le contrat T7
ne comportait aucun plafond ;
1 - Sur l’inobservation des règles fixées par le conseil d'administration
Considérant que par sa délibération du 22 juin 2001, le conseil d’administration a
précisé que «
la couverture du risque de taux
[devait]
répondre à plusieurs objectifs (…) »
et
qu’il importait de «
répartir les risques
» et de «
préserver un niveau de taux »
en veillant à ce
que «
Le plan de financement repose, entre autres hypothèses, sur un niveau de taux de
financement à long terme de 6,20 % »,
en utilisant à cette fin
« des contrats
de couverture
simples tel qu'un CAP, qui garantit un plafond de taux sur une période, ou tel qu'un TUNNEL
(…)»,
et de
« profiter d'opportunités de marché »
en précisant que
« Les mêmes techniques
seront utilisées pour profiter d'éventuelles inversions de la courbe de taux (taux courts
supérieurs
aux
taux
longs),
ou
encore
améliorer
des
situations
déjà
bonifiées
contractuellement, dans un esprit qui exclura toute spéculation »
; que les conditions fixées
par ladite délibération sont éclairées par les débats du conseil d’administration ainsi que par
les communications faites à cette instance par le directeur général entre 2002 et 2008 ;
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Considérant qu’il résulte de ces éléments que la référence de taux de 6,2%, retenue par
le conseil d’administration, devait être entendue comme un objectif assigné à l’ensemble de
l’encours de la dette contractée pour le « programme Port 2000 » et non comme un plafond
applicable à chacun des contrats d’emprunt ou d’échange de taux
pris individuellement ;
Considérant que, nonobstant les risques attachés à certains instruments financiers de
couverture, notamment aux contrats T3 bis 1, T3 bis 2 et T7 non couverts par la prescription,
leur souscription n’a pas manifestement méconnu les termes de la délibération adoptée le 22
juin 2001 par le conseil d’administration de l’établissement ;
2 - Sur le défaut d’information du conseil d'administration en matière de
couverture de taux d'emprunts
Considérant qu’il appartenait au directeur du Port, conformément à la délibération du
22 juin 2001 susmentionnée, d’informer le conseil d’administration des modalités de gestion
de la dette de l’établissement public, et notamment de la nature des instruments financiers
souscrits à cet effet ;
Considérant que, au regard de la technicité du sujet, l'information ainsi présentée au
conseil d'administration, quoique synthétique, ne peut être regardée au vu des pièces du
dossier, comme insuffisante ou non intelligible ;
3 - Sur le défaut d’application des règles comptables et en particulier de sincérité
des comptes
Considérant que le Port est soumis à l’instruction codificatrice n° 02-039-M95 du 30
avril 2002 relative à la réglementation budgétaire, financière et comptable des établissements
publics nationaux à caractère industriel et commercial ;
Considérant qu’en l’absence de règles comptables spécifiques aux ports autonomes ou
aux établissements publics nationaux en matière d’instruments financiers dérivés, les règles
du plan comptable général sont applicables ainsi qu’il résulte, tant de l’article 52 dernier
alinéa du décret du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique,
que du chapitre 1
er
de l’instruction codificatrice susmentionnée ; que l'article 531-2/22 du plan
comptable général précise que les instruments financiers dérivés, dont font partie les
instruments de couverture visés aux articles 372-1 et suivants du même plan ici utilisés,
doivent faire l'objet d'une information dans les annexes aux comptes, s'agissant notamment de
la «
juste valeur des instruments, si cette valeur peut être déterminée par référence à une
valeur de marché ou par application de modèles et techniques d'évaluation généralement
admis
» ;
Considérant ainsi que cette obligation d’information s’imposait en particulier pour les
contrats « T3 bis » et « T7 » afin que les comptes du Port, pour les exercices 2008 et suivants,
puissent être qualifiés de réguliers, sincères et donnant une image fidèle de son patrimoine, de
sa situation financière et de son résultat ;
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Considérant cependant que les comptes 2008, qui ne comportaient pas une telle
information, ont été arrêtés après que MM. Y et Z, précédemment en charge de
l’établissement des comptes de l’établissement, aient quitté leurs fonctions ;
Considérant ainsi, sans qu’il soit besoin de répondre aux autres moyens exposés par la
défense, que l’infraction sanctionnée par l’article L.313-4 du code des juridictions financières
n’est pas constituée ;
ARRÊTE :
Article 1
er
: MM. Y, X, A, Z, B et C sont relaxés des fins de la poursuite ;
Délibéré par la Cour de discipline budgétaire et financière, le six juillet deux mille
douze par M. Migaud, Premier président de la Cour des comptes, Président ; M. Toutée,
président de la section des finances du Conseil d'État ; M. Loloum, conseiller d'État,
MM. Vachia et Duchadeuil et Mme Fradin, conseillers maîtres à la Cour des comptes,
MM. Larzul et Prieur, conseillers d'État et M. Geoffroy, conseiller maître à la Cour des
comptes.
Lu en séance publique le 23 juillet deux mille douze.
En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par le président de la Cour et la greffière.
Le Président,
la greffière,
Didier MIGAUD
Isabelle REYT