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QUATRIÈME CHAMBRE
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Première section
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Arrêt n° S2019-2750
Audience publique du 7 novembre 2019
Prononcé du 28 novembre 2019
COMMUNE DU MANS
(SARTHE)
Appel d’un jugement de la
chambre régionale
des comptes Pays de la Loire
Rapport n° R-2019-1220-1
République Française,
Au nom du peuple français,
La Cour,
Vu la requête enregistrée le 23 mai 2019 au greffe de la chambre régionale des comptes
Pays de la Loire, par laquelle M. X, comptable de la commune du Mans, a élevé appel du
jugement n° 2019-003 du 26 mars 2019 de ladite chambre régionale qui
l’a
constitué débiteur
envers cette commune de la somme totale de 3
242,70 €, augmentée des intérêts de droit
;
Vu les pièces de la procédure suivie en première instance ;
Vu le code général des collectivités territoriales et notamment son article D. 1617-19 ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu l’article 60 modifié de la loi de finances n°
63-156 du 23 février 1963 ;
Vu le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable
publique ;
Vu le rapport de M. Patrick BONNAUD, conseiller maître,
chargé de l’instruction
;
Vu les conclusions de la Procureure générale n° 677 du 30 octobre 2019 ;
Entendu lors de l’audience publique du
7 novembre 2019, M. Patrick BONNAUD, conseiller
maître en son rapport, Mme Loguivy ROCHE, avocate générale, en les conclusions du
ministère public, M. Y, directeur général adjoint de la commune du Mans, mandaté par le maire
du Mans pour le représenter, et M. X, comptable de la commune du Mans, qui a eu la parole
en dernier ;
Entendu en délibéré M. Yves ROLLAND, conseiller maître, réviseur, en ses observations ;
1. Attendu que, par le jugement entrepris, la chambre régionale des comptes Pays de la Loire
a constitué M. X
débiteur des sommes de 504,36 € et 2
738,34 €, augmentée
s des intérêts de
droit, pour avoir, au cours des exercices 2014 et 2015, payé à divers agents de la commune
du Mans une « indemnité de conduite des véhicules de plus de 3,5 tonnes » sans disposer
d’une délibération du conseil municipal décidant du principe et des conditions d’attribution
de
cette prime, pièce justificative prévue par la nomenclature annexée au code général des
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collectivités territoriales, manquant ainsi à son obligation de contrôle de la production des
justifications, manquement ayant causé, à défaut que cette prime fût juridiquement fondée, un
préjudice financier à la commune du Mans ;
2. Attendu que
l’appelant
demande à la Cour, «
compte tenu des circonstances particulières
qui ont entouré l’exercice de ces contrôles sur la paie des personnels de la ville du Mans mais
aussi le
déroulé de la phase d’instruction du contrôle juridictionnel
»,
de conclure à l’annulation
du jugement de la chambre régionale des comptes et de reconnaître à son bénéfice des
circonstances atténuantes dégageant sa responsabilité personnelle et pécuniaire pour le
paiement de l’indemnité incriminée
;
qu’eu égard aux moyens développés, il y a lieu de
considérer qu’au
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delà de l’annulation du jugement, le requérant en demande subsidiairement
l’infirmation ; qu’en effet
,
la requête peut être articulée entre, d’u
ne part, des moyens tendant
à contester l’impartialité de l’instruction de première instance et du jugement et, d’autre part,
des moyens sollicitant du juge d’appel l’octroi de circonstances atténuantes
;
Sur l’impartialité de l’instruction et du jugement
3.
Attendu que l’appelant expose
que le magistrat rapporteur de la phase précontentieuse du
contrôle des comptes de la commune du Mans, le magistrat en charge d’instruire le réquisitoire
du procureur financier et la chambre régionale elle-même auraient instruit puis statué
uniquement à charge en ne tenant pas compte du fait que l’appelant avait engagé, bien avant
l’ouverture du contrôle des comptes sur les exercices concernés une
«
action de redressement
forte et formalisée
» du comptable public
auprès de l’or
donnateur aboutissant à un « plan
d’action correctives
» qui s’est traduit par une entière régularisation du régime indemnitaire
des personnels de la commune du Mans au 1
er
janvier 2018, en dehors de toute intervention
du juge des comptes
; qu’il reproche
au jugement de ne pas avoir tenu compte du fait que
cette situation avait été spontanément portée à la connaissance du juge par le comptable
public lui-même lors du lancement de la phase d'instruction du contrôle juridictionnel et que le
contenu détaillé du plan d'actions correctives avait été expliqué y compris lors des débats
engagés lors de l'audience publique du 5 mars 2019 ;
qu’il reproche enfin à la chambre
régionale d’avoir jugé qu’en l'absence de délibération pour la période sous contrôle
le
comptable avait manqué à ses obligations sans retenir l'action partenariale engagée entre
l'ordonnateur et le comptable public ;
4.
Attendu qu’au cours de l’audience publique
du 7 novembre 2019
, l’appelant a précisé que,
selon lui, le magistrat rapporteur de la phase précontentieuse se serait approprié les
explications que le comptable public lui
aurait fourni lors de l’entretien de début de contrôle
pour les transformer en charge contre l’appelant
,
alors qu’un processus de régularisation était
en cours à son initiative avant même le lancement du contrôle de la chambre régionale des
comptes ;
5.
Attendu qu’aux te
rmes des dispositions du code des juridictions financières susvisé relatives
aux activités juridictionnelles des chambres régionales des comptes, «.
(…)
Lorsque le
ministère public relève, dans les rapports
(…)
ou au vu des autres informations dont il dispose,
un élément susceptible de conduire à la mise en jeu de la responsabilité personnelle et
pécuniaire du comptable, ou présomptif de gestion de fait, il saisit la chambre régionale des
comptes
. » ;
6.
Attendu qu’il résulte de ces dispositions que c’est au cours de la première phase de la
procédure que les comptes sont examinés ; que cette première phase ne revêt pas un
caractère contentieux ; qu’en tant qu’il conteste les conditions dans lesquelles le
contrôle
juridictionnel a été réalisé au cours de la phase non contentieuse de la procédure qui a précédé
ledit réquisitoire, le moyen est irrecevable ;
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7. Attendu qu
’au demeurant
le rapport à fin de jugement n° 2019-0008 du 15 janvier 2019
expose les circonstances invoquées par le comptable et
propose d’en faire mention au
jugement et de dire qu’elles ne peuvent exonérer le comptable de sa responsabilité
personnelle et pécuniaire ;
que le magistrat instructeur n’a
donc pas méconnu son devoir
d’impartialité et s’est acquitté de son office, tel qu’il est
notamment, défini par l’article
R. 242-6 du code des juridictions financières ;
8. Attendu que, ainsi
que l’admet l’appelant
, le jugement fait état de
la qualité du travail d’alerte
du comptable ayant abouti à une régularisation de l’ensemble du régime indemnitaire de
manière partenariale ; que ledit jugement rappelle que si les circonstances de l
’espèce
invoquées par le comptable, et notamment son rôle dans la régularisation ultérieure de la
situation, ne sont pas susceptibles d'être accueillies par le juge des comptes en atténuation
de sa responsabilité lorsque le manquement a causé un préjudice financier à la collectivité,
elles peuvent en revanche être invoquées à l'appui d'une demande de remise gracieuse
auprès du ministre chargé du budget
;
9. Attendu en conséquence
que les moyens soulevés par l’appelant tendant à contester la
régularité du jugement entrepris doivent être écartés ;
Sur les circonstances atténuantes
10. Attendu que le comptable fait valoir que la rémunération des agents est un sujet sensible
au Mans
; qu’il a bien agi et san
s doute évité un conflit social
; qu’il souligne, de même
qu’il a
engagé et mené à bien, de conserve av
ec l’ordonnateur, des mesures de régularisation
;
11.
Attendu qu’au cours de l’audience publique
du 7 novembre 2019, le représentant de
l’ordonnateur est intervenu en soutien de l’appelant et a notamment fait état
de la « dimension
éthique
» de l’affaire
; q
u’il
a confirmé
que c’est le comptable public et lui seul qui a découvert
les irrégularités entachant certains aspects du régime indemnitaire des personnels
communaux et que c’est grâce à son action que ces irrégularités ont pu être corrigées
; qu’il
a
indiqué
que l’attribution de la prime litigieuse résultait d’un accord de sortie de grève et que sa
suppression immédiate aurait entraîné un nouveau conflit social
; qu’un certain délai était donc
nécessaire pour mener les négociations nécessaires pour faire
accepter la mise en place d’un
nouveau régime indemnitaire
; qu’il
a enfin affirmé
que la commune n’a
vait subi aucun
préjudice financier dans cette affaire
; qu’il
a demandé
à la Cour de ne pas constituer l’appelant
débiteur envers la commune du Mans ;
12. At
tendu qu’il appartient au juge des comptes de vérifier que le comptable public s’est livré
aux différents contrôles qu’il doit réaliser notamment pour assurer le paiement régulier des
dépenses ; que, dans l’exercice de cet
te fonction juridictionnelle, le juge
doit s’abstenir de toute
appréciation du comportement personnel du comptable concerné et ne peut fonder ses
décisions que sur les éléments matériels des comptes et les règles applicables ; qu’
en
l’absence de force majeure, non invoquée en l’espèce,
aucune circonstance, tenant
notamment au fonctionnement du service public, n’est de nat
ure à justifier, sauf disposition
spécifique, le paiement par un comptable d’une dépense irrégulière et, par suite, à faire
obstacle à l’engagement de sa responsabilité per
sonnelle et pécuniaire en raison de ce
paiement irrégulier ; qu’en refusant de prononcer un débet au motif que l’action du comptable
avait permis de corriger les pratiques litigieuses ou que la suspension du paiement par le
comptable aurait conduit à un mo
uvement social, voire à l’interruption du service, alors
qu’aucune circonstance ne pouvait justifier un tel paiement en l’absence de disposition le
permettant, la chambre aurait commis une erreur de droit ;
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13. Attendu q
ue ce n’est que dans le cas où le manquement du comptable n’a pas causé de
préjudice financier à l’organisme que, pour fixer le montant de la somme à mettre à la charge
du comptable, le juge des comptes peut tenir compte des
circonstances de l’espèce
; que,
d
ans le cas présent, la chambre régionale des comptes a jugé que le paiement de l’indemnité
étant dépourvu de fondement juridique, le manquement du comptable avait causé un préjudice
financier à la commune
; qu’il
s’ensuit
que la chambre régionale des comptes était tenue de
constituer le comptable débiteur et ce, pour le montant des sommes indûment payées ;
14. Attendu
que ces circonstances de l’espèce pourront valablement être présentées par
l’appelant à l’appui d’une demande de remise gracieuse
formulée auprès du ministre chargé
du budget ;
15. Attendu, enfin, que les mesures de régularisation
n’ont été mises en place
qu’à partir du
1
er
janvier 2018 ; qu’elles s
ont donc sans incidence sur les manquements relevés au cours
des exercices 2014 et 2015 et ne peuvent dégager la responsabilité personnelle et pécuniaire
de l’appelant
;
16.
Attendu qu’il résulte de ce qui
précède
qu’il
convient de rejeter la requête de M. X ;
Par ces motifs,
DÉCIDE
:
Article unique.
–
La requête de M. X est rejetée.
Fait
et
jugé
en
la
Cour
des
comptes, quatrième
chambre,
première
section.
Présents : M. Jean-Yves BERTUCCI, président de section, président de séance,
Mme Catherine DÉMIER, conseillère maître, MM. Olivier ORTIZ et Yves ROLLAND,
conseillers maîtres et Mme Dominique DUJOLS, conseillère maître.
En présence de M. Aurélien LEFEBVRE, greffier de séance.
Aurélien LEFEBVRE
Jean-Yves BERTUCCI
En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur
ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la
République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et
officiers de la force publique de prêter main-
forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
Conformément aux dispositions de l’article R. 142
-20 du code des juridictions financières, les
arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation
présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le
délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une
ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce
dans les conditions prévues au
I de l’article R. 142
-19 du même code.