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CONFÉRENCE DE PRESSE SUR LA FILIÈRE EPR :
UNE DYNAMIQUE NOUVELLE, DES RISQUES PERSISTANTS
Mardi 14 janvier 2025 – 9h30
Salle André Chandernagor
Allocution de Pierre Moscovici,
Premier président de la Cour des comptes
Mesdames et messieurs,
Bonjour et merci de votre présence.
J’ai grand plaisir à vous accueillir aujourd’hui pour vous
présenter le rapport public thématique de la Cour sur la filière EPR, qui s’inscrit dans les suites
du rapport thématique de la Cour sur le même sujet publié en juillet 2020. Depuis, le contexte
a significativement évolué, l’industrie nucléaire bénéficiant d’un contexte national et
international plus porteur. Pour autant, indépendamment de la dynamique nouvelle
constatée, cette filière reste exposée à des risques persistants.
Cette enquête a été conduite par la deuxième chambre de la Cour, et je souhaite, avant
toute chose, saluer le travail remarquable et très approfondi de l’ensemble des artisans de
ce rapport
. Je remercie donc chaleureusement
Inès-Claire Mercereau,
présidente de la
deuxième chambre, à mes côtés ce matin. Je remercie également
Eric Allain
, président de
section,
Antoine Guéroult
, contre-rapporteur et les trois rapporteurs
Jean-Noël Gout, Yorick
de Mombynes et Rizlane Bibaoui,
pour ce travail objectif et rigoureux.
Avant d’entrer avec vous dans le détail du rapport, il me semble indispensable de préciser
l’objet de notre enquête.
Comme je le précisais, le rapport que je vous présente aujourd’hui fait suite au rapport
public thématique de la Cour sur « La filière EPR », publié en juillet 2020.
C’était d’ailleurs
l’un des premiers rapports que j’avais eu le plaisir de présenter en tant que Premier
président !
Les risques identifiés par la Cour portaient sur la fragilité de certaines entreprises de la filière,
dans un contexte de dérapage des coûts et des délais, sur la multiplication du contentieux, et
sur la rentabilité prévisionnelle de l’EPR de Flamanville. Nous avions formulé en 2020 neuf
recommandations concernant la conduite des chantiers EPR et la préparation des décisions à
venir.
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Au rapport de 2020 s’ajoutent plusieurs travaux menés par la Cour sur le secteur nucléaire
ces dernières années
: un rapport public thématique sur l’aval du cycle combustible nucléaire
(2019), une communication au Parlement sur l’arrêt et le démantèlement des installations
nucléaires (2020), ou encore une autre communication au Parlement sur l’adaptation au
changement climatique du parc de réacteurs nucléaires (2023), qui a fait l’objet d’une
insertion au rapport public annuel 2024.
Depuis la publication de ces rapports, le contexte a significativement évolué et l’industrie
nucléaire bénéficie depuis peu d’un contexte national et international plus porteur
. En
France, de nombreux travaux sur le mix énergétique de long terme ont étayé l’idée selon
laquelle le nucléaire, prépondérant dans la production électrique française, est indispensable
à la décarbonation de l’économie. Un programme de construction de nouveaux EPR a été
annoncé par le président de la République en février 2022 et l’EPR de Flamanville vient d’être
récemment raccordé au réseau, en fin d’année 2024. A l’international, outre la mise en
service en 2018 et 2019 des EPR de Taishan 1 et 2 en Chine, l’EPR d’Olkiluoto 3 en Finlande a
été raccordé au réseau national en mars 2022.
Dans ce contexte de relance de production électronucléaire, la Cour a souhaité poursuivre
trois objectifs :
-
réaliser un suivi des recommandations formulées en 2020,
-
actualiser les calendriers et coûts des projets d’EPR 2 en France et à l’étranger,
-
et apporter un premier regard sur l’état de la filière industrielle électronucléaire,
par rapport aux enjeux considérables d’un programme d’investissement.
Cette enquête, débutée en juillet 2023, couvre un large champ.
Elle a conduit à solliciter une
quinzaine de parties prenantes
:
administrations, autorités indépendantes, EDF, ou encore
représentants professionnels des secteurs de l’industrie électronucléaire.
Enfin, et cela
semblait aller de soi au vu de la thématique de l’enquête, le rapport que je vous présente
intègre des données comparatives internationales et européennes, portant en particulier sur
la Chine, la Finlande, le Royaume-Uni et la république Tchèque.
***
Ces précisions étant faites sur nos méthodes et l’objet de notre enquête, je passe sans plus
attendre à la présentation des principaux constats et recommandations du rapport qui nous
rassemble ce matin.
Le rapport thématique de la Cour sur la filière EPR, publié 2020, formulait des constats
critiques, voire alarmants, sur l’état de la filière
. Il soulignait l’échec opérationnel patent de
la construction de l’EPR de Flamanville, dont les coûts et délais avaient été particulièrement
sous-estimés. Il critiquait le défaut d’organisation du suivi du projet par EDF, le manque de
vigilance des autorités de tutelle et leur retard à prendre en compte la perte de compétences
techniques et de culture qualité de la filière industrielle nucléaire. Les chantiers des réacteurs
EPR à l’étranger connaissaient également des dérives de coûts et de délais significatifs
(Olkiluoto 3 en Finlande, Hinkley Point C au Royaume Uni). Mis en service en Chine en 2018
et 2019, les réacteurs EPR de Taishan 1 et 2 l’ont été avec un retard de cinq ans sur le
calendrier prévu, et surtout avec un surcoût de 60 % par rapport au budget prévisionnel.
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La relance de la filière nucléaire, portée par l’objectif de décarbonation de l’économie, et
l’annonce par le gouvernement en 2022 d’un programme de construction de nouveaux EPR,
ont profondément modifié les perspectives et les enjeux.
Dans ce cadre évolutif, nous nous
sommes attachés à établir un état des lieux de la filière nucléaire. Dans quelle mesure cette
filière s’organise-t-elle pour mettre en
œ
uvre la stratégie énoncée, alors que le rapport de
2020 avait mis en évidence sa perte de compétences et de culture qualité ? Pour répondre à
cette question, la Cour s’est penchée sur les retours d’expérience des chantiers récents de
construction d’EPR, et notamment sur l’actualisation de leurs coûts, les modalités de
structuration de la filière industrielle électronucléaire, et enfin leur articulation avec les
calendriers et coûts du programme EPR 2.
À l’issue de notre enquête, nous formulons trois grands constats accompagnés de
préconisations :
-
D’abord, nous constatons qu’en moins de quatre ans, des dispositifs spécifiques ont
été mis en
œ
uvre pour relancer la filière électronucléaire, dans le cadre notamment de
la stratégie nationale bas carbone ;
-
Deuxième constat, l’actualisation des calendriers et des coûts des programmes de
construction confirme des dérives systématiques, en termes de coûts et de délais,
préjudiciables au programme EPR 2. ;
-
Troisième constat, même si la filière industrielle nucléaire a commencé à s’organiser,
elle est loin d’être prête pour répondre aux enjeux du programme EPR 2 ; elle doit
encore surmonter de nombreux défis dont certains sont préoccupants.
*
I. Débutons par le premier message de notre rapport : en moins de quatre ans, des
dispositifs spécifiques ont été mis en
œ
uvre pour relancer la production électronucléaire.
D’abord, rappelons que le contexte relatif à la production électronucléaire a radicalement
évolué.
L’accident nucléaire de Fukushima en 2011 avait provoqué un gel durable des
nouveaux projets. Pour ne prendre que deux exemples, l’Allemagne avait décidé la fermeture
de son parc nucléaire, tandis que la France prévoyait de faire passer le nucléaire de 75 % à 50
% de son mix électrique en 2025. Depuis, un revirement majeur a été opéré en faveur de
l’énergie nucléaire, en grande partie justifié par l’urgence climatique. Lors de la COP 28 en
décembre 2023, une vingtaine d’États, dont des pays non producteurs d’électricité d’origine
nucléaire, ont appelé à tripler les capacités de l’énergie nucléaire d’ici à 2050 par rapport à
2020.
En France, la stratégie énergétique, énoncée à Belfort en février 2022 par le Président de la
République, marque une inflexion forte en faveur du nucléaire.
L’énergie électrique
d’origine nucléaire est identifiée comme un axe essentiel de décarbonation de l’énergie,
parallèlement à la
baisse de consommation d’énergie
, en d’autres termes la sobriété, d’une
part ; et avec le développement des
énergies renouvelables
dans le cadre de l’électrification
des usages, d’autre part. De même, en février 2023, quinze pays de l’Union européenne, dont
la France, ont créé une « Alliance du nucléaire ». Celle-ci vise à renforcer les coopérations
dans le domaine nucléaire, pour que l’énergie nucléaire soit en capacité de fournir à l’Union
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européenne jusqu’à 150 GW de capacité électrique d’ici à 2050, contre environ 100 GW
aujourd’hui.
L’annonce de la relance d’un programme de construction de centrales intervient en France
dans un cadre de programmation et de régulation sectorielle en évolution.
La réforme du
marché européen de l’électricité et la future régulation des prix de l’électricité
ont été
accélérées, à la suite de la guerre en Ukraine et de l’envolée des prix de gros en 2022. Les
textes afférents ont été publiés en juillet 2024. Leur objectif est de nous prémunir contre la
volatilité des prix du marché.
Concrètement, le règlement encourage les contrats de longs termes (
Power Purchase
Agreement
) entre producteurs d'électricité, d’une part, et industriels ou revendeurs
d'électricité, d’autre part.
Les États membres sont, quant à eux, invités à signer avec les producteurs d’électricité des
contrats spécifiques, nommés « contrats pour différence (CFD) bidirectionnels »
: si le prix
du marché est supérieur au prix garanti fixé dans le contrat, le producteur doit s'engager à
reverser ses revenus excédentaires à l'État, et cet argent est susceptible d’être reversé aux
clients finaux ou d’être investi dans le réseau. A l'inverse, si le marché décroche, l'État
intervient en garantie et apporte une compensation. L'enjeu est d’assurer une certaine
stabilité des revenus des producteurs, afin de garantir les investissements dans la production
d'électricité.
Par ailleurs, la stratégie nationale en matière énergétique est, certes avec retard, en cours
d’élaboration
. Dans le cadre d’une stratégie française pour l’énergie et le climat, encore à
arrêter, les projets de troisième programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE 3) et de
Stratégie nationale bas carbone (SNBC 3), ont été soumises à consultation publique fin 2024.
Enfin, la loi du 11 avril 2024 a été adoptée ; elle vise à protéger le groupe EDF, détenu par
l’Etat à 100% depuis le 8 juin 2023, d'un éventuel démembrement.
La Cour souligne que la relance du nucléaire en France bénéficie de réformes spécifiques,
destinées à en faciliter la réalisation
. Cette relance a été annoncée sous la forme d’un
programme intitulé Programme nouveau nucléaire France, ou PNNF. Je mentionnerai en
particulier la loi du 22 juin 2023 d’accélération du nucléaire, qui vise l’accélération et la
sécurisation juridique des constructions de futurs réacteurs ; mais aussi la création de la
Délégation interministérielle au nouveau nucléaire (DINN) en novembre 2022,
pour assurer la supervision par l’État du programme industriel de construction des nouveaux
réacteurs électronucléaires. Enfin, le conseil de politique nucléaire a été réactivé depuis 2023.
Alors que la réalisation de six à quatorze EPR a été annoncée en France, la Cour a souhaité
dresser un état d’avancement des projets d’EPR existants, en France (Flamanville) et à
l’étranger.
Son analyse montre qu’en dépit de retours d’expérience renforcés, comme la Cour
l’avait recommandé en 2020, ces projets restent marqués par une dérive de leurs calendriers
et de leurs coûts.
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II. Cela me mène au deuxième message de notre rapport : les dérives systématiques des
chantiers en termes de coûts et de délais.
En effet, l’actualisation des calendriers et des budgets des programmes de construction des
réacteurs EPR, à l’étranger comme en France, confirme des retards et des surcoûts
importants, qui sont préjudiciables au programme EPR 2
. C’est l’objet de la première partie
du rapport.
La Cour constate que le recours aux retours d’expérience et l’analyse des risques ont été
effectivement développés, mais insuffisamment partagés.
Une réalité s’impose en effet : les
calendriers et les coûts dérivent, quel que soit le type de projet. Une grande partie de ces
informations est certes déjà publique mais dans le rapport présenté aujourd’hui, la Cour les
actualise et les complète.
En France, tout d’abord
. Dans son rapport de 2020 ; la Cour recommandait à EDF de «
calculer
la rentabilité prévisionnelle du réacteur de Flamanville 3 et de l’EPR 2 et d’en assurer le suivi
».
EDF n’a pas mis en
œ
uvre cette recommandation, ni transmis les informations pertinentes à
la Cour.
A défaut d’en disposer, nous avons calculé sur la base des éléments en notre possession, une
rentabilité prévisionnelle médiocre pour l’EPR de Flamanville 3 : inférieure à 2%, dans
l’hypothèse d’un prix de vente inférieur à 90
le Mwh.
En matière de coûts, EDF estime par exemple que le coût total à terminaison de l’EPR de
Flamanville ressort à 22,6 Md
2023
, un montant qui comprend les coûts de financement.
L’élément principal de ce montant est le coût de construction, qui représente 15,6 Md
2023
,
soit près de 70 % du coût total à terminaison. La Cour évalue quant à elle le coût total à
terminaison de l’EPR de Flamanville 3 à un niveau supérieur, soit 23,7 Md
2023
– et je vous
renvoie au rapport pour une justification technique et solide de notre évaluation de coût. Les
réévaluations successives du seul coût de construction de Flamanville 3, synthétisées dans le
rapport de la Cour, illustrent l’importance de la dérive des coûts de ce seul projet.
S’agissant de la rentabilité prévisionnelle du futur programme EPR 2, la Cour relève, à ce
stade, qu’elle est inconnue, d’autant que les conditions de financement de ce programme
ne sont toujours pas arrêtées
. En outre, la maturité technique du programme était encore
jugée insuffisante, fin 2023, pour envisager le passage de la conception initiale à la conception
détaillée. Ce jalon a été franchi récemment, en juillet 2024, mais des travaux d’ingénierie
importants sont encore nécessaires pour parvenir à une conception détaillée robuste. Cela
imposera de réviser les coûts et délais du programme EPR 2, en intégrant les raisons et les
conséquences du report de cette échéance.
Par ailleurs, l’évolution du coût de construction des trois premières paires d’EPR 2 est d’ores
et déjà préoccupant, bien que toujours en cours d’évaluation.
En février 2022, le
gouvernement a fait état d’un coût de construction de 51,7 Md
2020
, en scénario médian
overnigh
t, c’est-à-dire hors coût de financement.
L’actualisation du chiffrage, présentée en décembre 2023, évoquait un coût de construction
overnight
des trois paires d’EPR 2 à hauteur de 67,4 Md
2020
(équivalant à 79,9 Md
2023
), soit
6
une augmentation de 30 % du coût, à conditions économiques inchangées et hors effet de
l’inflation.
En conséquence, au stade de la publication de ce rapport, le programme EPR 2 est
caractérisé par une conception à affermir, un devis inabouti et un financement à clarifier
.
Ces incertitudes conduisent au retard du programme, et d’ores et déjà la date de mise en
service de ces réacteurs est envisagée entre 2038 et 2044. Elles appellent des réponses
rapides des pouvoirs publics et de la filière électronucléaire.
Permettez-moi à présent de passer aux EPR à l’international.
En effet, les retours d’expérience des différents chantiers EPR soulèvent des interrogations
sur la crédibilité du programme EPR 2.
En Chine,
les deux réacteurs EPR en activité sont
Taishan 1 et 2 ; mais Taishan 1 n’a pas fonctionné de manière satisfaisante pendant 3 ans.
En
Finlande, la production d’électricité de l’EPR d’Olkiluoto 3 a débuté en avril 2023, après treize
années de retard sur le calendrier initial. Pour l’ensemble des constructeurs, incluant l’ex
groupe Areva ou Siemens, le coût total à terminaison, hors coût de financement, était de
9,5 Md
fin 2023 alors qu’initialement il était estimé à 2,3 Md
en 2003.
La situation est également complexe s’agissant des projets en cours de construction à
l’international.
EDF est particulièrement impliqué dans deux projets en Grande Bretagne.
Le premier d’entre eux concerne le chantier d’Hinkley Point C (HPC).
En 2020, la Cour
indiquait que la rentabilité de ce projet avait été revue plusieurs fois à la baisse depuis son
lancement.
Nous soulignions que son financement par EDF, à concurrence de sa participation au capital
de la société de projet, soit 66,5 %, pesait lourdement sur la situation financière de
l’entreprise. La Cour estimait qu’EDF devrait débourser 16 à 17 Md
pour la construction des
deux réacteurs et qu’il existait un risque de nouvelle dérive des coûts.
Depuis lors, la situation s’est sensiblement aggravée
. Le rapport montre tout d’abord que
les coûts ont augmenté très significativement en raison de difficultés opérationnelles. Les
chiffres parlent d’eux-mêmes. L’estimation du coût à terminaison de HPC a en effet augmenté
de 30% entre la dernière révision de janvier 2024 et la précédente de mai 2022, passant d’une
évaluation comprise entre 25 et 26,1 Md£
2015,
à une évaluation comprise entre 31 et 34
Md£
2015
soit 46,5 Md£
2024
en valeur nominale pour le haut de la fourchette des coûts. Par
ailleurs, l’objectif de mise en service a été de nouveau repoussé entre 2029 et 2031, après
avoir déjà été repoussé en 2022 à juin 2027. Cette nouvelle révision des coûts et du calendrier
de janvier 2024 s’est traduite, comptablement, par une dépréciation de 43% de la valeur nette
comptable de l’actif HPC, dans les comptes d’EDF à fin 2023.
Permettez-moi de le dire en
d’autres termes : hors cette dépréciation, EDF aurait enregistré en 2023 un bénéfice
supérieur de 11,5 Md£.
Enfin, EDF demeure exposé à un sérieux problème de financement dans ce chantier HPC, en
raison du retrait de l’actionnaire chinois CGN fin 2023.
Ce retrait est particulièrement
préoccupant pour EDF, qui se retrouve l’unique financeur du projet à ce stade, et qui doit
7
donc, pour ne pas augmenter son exposition financière, trouver d’autres sources de
financement dans des circonstances actuellement défavorables.
Le second projet dans lequel EDF est impliqué en Grande Bretagne est celui de Sizewell C
. Il
porte sur la construction d’une paire d’EPR dans la région du Suffolk. Les conditions
financières de ce projet, déjà retardé, sont encore incertaines, et la décision finale
d’investissement ne devrait pas intervenir avant 2025. Bien que l’exposition financière d’EDF
soit moindre en tant qu’investisseur minoritaire, la Cour préconise de ne pas approuver une
décision finale d’investissement d’EDF dans le projet de Sizewell C, avant l’obtention d’une
réduction significative de son exposition financière dans le projet d’HPC.
Par ailleurs, en octobre 2023, le groupe EDF a soumis, pour le site de Dukovany en
République Tchèque, une offre engageante
. Celle-ci portait sur deux choses : d’une part, la
fourniture de services d’ingénierie, d’achat, de construction et de mise en service industrielle
d’un EPR de 1200 MW de puissance ; d’autre part, la fourniture d’assemblages de
combustibles. L’appel d’offres ayant été étendu à quatre réacteurs, EDF a déposé une
nouvelle offre en avril 2024. Mais celle-ci n’a pas été retenue par les autorités tchèques en
juillet 2024. L’issue de ce projet est elle-aussi incertaine. EDF prévoit de faire appel de la
décision des autorités tchèques de rejeter son recours initial.
*
Au terme de son analyse, la Cour constate que les neuf recommandations formulées en
2020 ont fait l’objet d’une mise en
œ
uvre totale ou partielle, à l’exception d’une seule, que
j’ai déjà évoquée et qui est essentielle : la préconisation demandant de calculer la
rentabilité prévisionnelle de Flamanville 3 et de l’EPR 2, et d’en assurer le suivi.
Aujourd’hui, les incertitudes qui caractérisent le programme EPR 2 conduisent la Cour à
formuler une nouvelle recommandation :
«
retenir la décision finale d’investissement du
programme EPR 2 jusqu’à la sécurisation de son financement, et l’avancement des études de
conception détaillée conforme à la trajectoire visée pour le jalon du premier béton nucléaire
».
Enfin, compte tenu de l’exposition financière incertaine d’EDF dans des projets
internationaux, et au vu de la priorité à donner au programme EPR 2, la Cour recommande
de
« s’assurer que tout nouveau projet international dans le domaine du nucléaire soit
générateur de gains chiffrés, et ne retarde pas le calendrier du programme EPR 2 en
France
».
III. J’en viens à présent à notre troisième message, qui apporte un premier regard sur l’état de
préparation de la filière pour répondre aux enjeux du programme EPR 2, partie intégrante du
programme nouveau nucléaire France.
C’est l’objet de la seconde partie du rapport.
Dans son rapport de 2020, la Cour évoquait
l’état d’impréparation de la filière industrielle, sa perte de compétences et de culture qualité,
comme facteurs explicatifs, parmi d’autres, des difficultés du chantier de Flamanville. Cet
aspect est déterminant pour répondre aux enjeux du programme nouveau nucléaire France,
et donc à celui de la construction des EPR 2.
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La prise de conscience de cette perte de compétences est une réalité ; et elle a conduit à
des efforts significatifs de structuration de la filière industrielle.
Pour autant, la Cour appelle
l’attention des pouvoirs publics sur la persistance d’incertitudes nombreuses, qui appellent
des réponses appropriées.
En 2020, la Cour avait formulé trois recommandations pour pallier le défaut d’organisation
du suivi du chantier de Flamanville par EDF, et sa gouvernance défaillante.
Ces recommandations ont été suivies d’effets
. Le conseil d’administration d’EDF assure
désormais une revue régulière des projets stratégiques et des risques qui y sont associés. De
plus, les activités nucléaires au sein du groupe EDF ont été réorganisées. Cette réorganisation
interne clarifie notamment les responsabilités respectives de la maîtrise d’ouvrage et de la
maîtrise d’
œ
uvre, point majeur qui avait fait défaut sur le chantier de Flamanville.
Bien qu’effective depuis avril 2024, cette réorganisation est trop récente que nous ayons pu
apprécier sa mise en
œ
uvre.
La Cour a également pu observer et constater le rôle essentiel de pilotage et d’articulation
opéré par la Délégation interministérielle au nouveau nucléaire (DINN), créée en 2022
Sa
mission est d’assurer, pour le compte de l’Etat, la supervision du programme industriel de
construction des nouveaux réacteurs électronucléaires. Sous son impulsion et avec le
concours d’EDF, un vaste travail d’audit, d’évaluation des coûts et des contraintes a été lancé.
Un comité de revue a également été mis en place ; son objectif est de réaliser une évaluation
indépendante de la maturité du projet, et d’assurer un suivi opérationnel de la remontée en
capacité de la filière nucléaire.
D’autres dispositifs ont été mis en
œ
uvre par EDF et les autres industriels du secteur pour
consolider et restaurer leurs performances.
Tout d’abord, le groupe EDF a renforcé significativement son outil industriel en intégrant
deux filiales majeures, dont les activités sont au c
œ
ur des métiers de la filière nucléaire
. Je
pense à Framatome, et à Arabelle Solutions. Ces deux leaders de l’énergie nucléaire, y compris
au niveau international, sont des fournisseurs essentiels à la réussite du programme EPR 2.
Par ailleurs, la mobilisation du Groupement des industriels français de l’industrie nucléaire
(GIFEN) et de l’Université des métiers du nucléaire permet de répondre aux enjeux des
recrutements indispensables à la réussite du programme.
La modélisation des besoins en
emplois à 10 ans réalisée par le groupement prévoit 10 000 recrutements ETP par an d’ici
2033, soit 100 000 recrutements pour l’ensemble de la filière sur la période.
De même, les incitations à la performance recommandées par la Cour en 2020 ont été mises
en place dans la stratégie contractuelle nouvelle du groupe EDF.
Il s’agissait, je le rappelle,
d’incitations
via
un système de bonus, des critères de partage des risques, des niveaux de
garantie, etc. Enfin, la récente loi n°2024-450 du 21 mai 2024 adapte des règles de la
commande publique aux projets nucléaires. Elle introduit une simplification de ces règles dans
des domaines clés, parmi lesquels l’exclusion du champ d’application du code de la
commande publique de tous les marchés, concernant notamment l’îlot nucléaire et l’enceinte
de sécurité – pour ne reprendre que ces seuls exemples.
9
*
Cependant, la réalité de la dynamique de réorganisation et de structuration de la filière
industrielle nucléaire ne permet pas de considérer, aujourd’hui, qu’elle est en mesure de
répondre aux défis du programme nouveau nucléaire France
. Il faut encore lever
d’importantes réserves et incertitudes, pour assurer la crédibilité du programme EPR 2 en
particulier.
Les incertitudes les plus préoccupantes portent sur les retards d’avancement de la
conception de l’EPR 2, l’inconnu sur le coût des trois premières paires et l’absence de
financement du programme
.
Ces incertitudes majeures ne permettent pas d’avoir une
visibilité sur la répartition du coût des réacteurs entre préteurs, Etat et EDF. Or, comme vous
le savez, le groupe EDF est très endetté et a besoin du soutien des pouvoirs publics pour ce
projet, dont le coût est susceptible de dépasser les 100 milliards d'euros, frais de financement
inclus. La décision récente du conseil d’administration d’EDF, de réduire l’enveloppe
financière dédiée aux travaux préparatoires des futurs EPR 2 en 2025, acte manifestement
ces incertitudes.
Ce manque de visibilité est également évoqué par une partie de la filière industrielle,
logiquement attentive aux dérives des précédents projets et des chantiers en cours.
Cet
attentisme est d’autant plus important chez les industriels dits de rang 2, dont la mobilisation
est manifestement prudente en raison du scepticisme sur le planning de l’opération,
l’absence de décision finale d’investissement et les interrogations sur le financement du
programme.
Par ailleurs, EDF doit relever des défis techniques majeurs, comme la perte de compétences
en matière d’ingénierie de chantier
. Cette perte de compétences est liée à la réduction des
projets nucléaires, qui s’est accompagnée de la fermeture d’un certain nombre d’usines dont
celles spécialisées dans cette compétence. Une meilleure stabilité des référentiels techniques
et réglementaires doit également être recherchée, afin d’assurer la réussite du programme
EPR 2.
Enfin, tout en reconnaissant son évolution récente, certains industriels émettent des
réserves sur le dispositif contractuel mis en place par EDF
. En raison du caractère irréaliste
d’une contractualisation sur des spécifications techniques et des objectifs quantitatifs précis,
et en l’état de maturité du programme EPR 2, certains s’inquiètent. Les incitations à la
performance sont également jugées encore trop déséquilibrées, et certaines clauses
contractuelles comme les plafonds de responsabilité, le montant de garantie bancaire jugé
trop élevé, ou encore certains montants de pénalités, créent de fortes tensions entre EDF et
la filière industrielle dans la phase actuelle de consultation.
***
Voilà, mesdames et messieurs, les principaux messages que je souhaitais porter à votre
connaissance.
10
Le programme nouveau nucléaire France (PNNF) est encore marqué par de nombreux
risques, en dépit des efforts importants engagés par EDF et par l’État.
Les enjeux de coûts
et de modalités de financement sont loin d’être éclaircis, et la validation de son financement
par la Commission européenne n’est pas acquise. Enfin, ce programme devra s’intégrer dans
les documents de programmation énergétique encore en consultation, comme la troisième
stratégie nationale bas carbone, dont la discussion et la validation engageront l’avenir
énergétique de la France, au-delà de la seule question de la relance du nucléaire. J’appelle en
effet votre attention sur le fait qu’en dépit des annonces présidentielles, il n’y a pas, à ce jour,
de document de programmation validé qui formalise le PNNF.
Je vous remercie pour attention et suis à votre disposition, ainsi que l’équipe très qualifiée
qui a instruit ce rapport, pour répondre à vos questions.