À la croisée des politiques énergétiques, agricoles et de gestion des déchets : une forte croissance de la production de biogaz, des objectifs de développement pour l’avenir insuffisamment étayés
La production de biogaz permet de répondre à plusieurs objectifs : la décarbonation de la production d’énergie, la transition agroécologique et l’amélioration de la gestion des déchets. La production repose pour l’essentiel sur la méthanisation et la filière bénéficie d’une politique de soutien volontariste désormais plus orientée vers la production de biométhane (filière de l’injection) plutôt que la production d’électricité ou de chaleur (filière de la cogénération). La seule production de biométhane injecté s’est élevée en 2023 à 9,1 TWh (+25% par rapport à 2022). Elle représente 2,5 % du gaz consommé en France. Le bilan carbone positif de la méthanisation fait désormais l’objet d’un large consensus scientifique et les facteurs susceptibles de dégrader ce bilan sont bien identifiés.
L’évolution des objectifs retenus à moyen terme entre 2011 et 2024 s’avère peu lisible et a été adaptée aux contraintes budgétaires. A plus long terme, le développement du biogaz s’inscrit dans la stratégie française visant à décarboner complètement la consommation de gaz d’ici à 2050. La Cour estime que les objectifs de production de biogaz tiennent insuffisamment compte des conséquences de la baisse future de consommation de gaz naturel (effets sur la gestion des réseaux de gaz, sur la gestion des pics de consommation énergétiques). La Cour estime que les travaux de prospective du mix énergétique devraient associer davantage les gestionnaires de réseaux de gaz et d’électricité pour définir les objectifs de production. De plus, la croissance de la production nécessite de s’assurer de la disponibilité de la biomasse (matière et déchets organiques) or des tensions d’approvisionnement pourraient apparaître dès 2030.
Des mécanismes de soutien public ayant favorisé la méthanisation agricole pour un coût élevé et de nouveaux mécanismes susceptibles de faire reposer le coût supplémentaire de production sur le consommateur
La Cour s’interroge sur l’efficience des soutiens financiers apportés au développement de la filière au regard des coûts de production de cette énergie. Le soutien repose en premier lieu sur des contrats d’obligation d’achat permettant de soutenir les fournisseurs acquérant le biogaz aux producteurs. Ces contrats ont eu un coût budgétaire de 2,6 Md€ entre 2011 et 2022 et la durée de ces contrats (15 ou 20 ans) nécessitera, au titre des contrats signés jusqu’au début de l’année 2023, un décaissement supplémentaire de 12,7 Md€ à 16,2 Md€ pour le biométhane et de 2,2 à 3,9 Md€ pour la production d’électricité. À ces charges, il faudrait ajouter d’ici à 2028 environ 7 Md€ pour les seules nouvelles installations d’injection de biométhane prévues. Des subventions à l’investissement de l’Ademe et des Régions (0,5 Md€ de 2019 à 2023) et des mesures d’exonérations fiscales accordées à la méthanisation agricole complètent ce soutien.
La Cour relève que les mesures de soutien s’adaptent mal à l’hétérogénéité des coûts de production inhérente aux caractéristiques très diverses des installations. Ainsi, la Cour a pu observer des unités de production présentant des rentabilités excessives, en particulier pour celles ayant bénéficié de contrats d’achat signés avant 2020. La Cour estime de plus que le maintien du soutien pour l’installation d’unités de production d’électricité devrait être discuté, compte tenu des formes alternatives de production d’électricité renouvelable et des autres moyens de décarboner le secteur agricole. A partir de 2026, un nouvel outil viendra compléter les mesures de soutien : les certificats de production de biogaz. S’il présente l’avantage de ne pas mobiliser de nouveaux fonds publics, il fera supporter au consommateur le surcoût de production. La Cour regrette qu’une évaluation robuste de l’impact de ce dispositif sur les prix du gaz n’ait pas été conduite en amont de son déploiement.
Une contribution effective de la politique de soutien au biogaz à d’autres objectifs que la seule production d’énergie
En moyenne, la Cour a relevé que les exploitations agricoles impliquées dans la méthanisation ont accru leur excédent brut d’exploitation de l’ordre de 20 % par rapport aux exploitations similaires non impliquées dans ce processus. Si la croissance de la production de biogaz se traduisait par le développement de méthaniseurs non-agricoles de grande taille, il conviendrait alors de garantir le partage de valeur entre ces derniers et les agriculteurs fournisseurs de la biomasse.
Le développement de la méthanisation contribue également à la politique de traitement des déchets. Le cadre réglementaire est complexe mais permet à la fois de préserver ce mode de traitement des déchets tout en garantissant l’innocuité sanitaire et environnementale du digestat produit et épandu sur les sols agricoles. S’agissant spécifiquement des biodéchets, leur méthanisation reste limitée du fait de leur faible taux de collecte et du coût de la méthanisation.
Les travaux de recherche relatifs à l’effet de la méthanisation sur les pratiques agricoles ne mettent pas en évidence d’effets négatifs systématiques. En revanche, ils convergent quant à l’importance de suivre l’impact possible du développement des cultures intermédiaires à vocation énergétiques, qui représentent le principal gisement de biomasse pour la méthanisation à long terme.