SYNTHÈSE
Un cadre de gouvernance et de gestion inabouti
Le régime de retraite des fonctionnaires territoriaux et communaux a été créé par l’Etat en 1954 puis transféré en 1957 à la Nouvelle-Calédonie, qui en a assuré seule la gouvernance et la gestion jusqu’en 1993. Depuis 1994, elle remodèle le cadre de gouvernance et de gestion du régime autour d’un établissement public dédié, dénommé Office territorial de retraites des agents fonctionnaires (OTRAF) en 1994 puis CLR (Caisse locale de retraites) en 2006. La collectivité partage la gouvernance du régime avec le conseil d’administration de l’établissement, instance paritairement composée de représentants de la Nouvelle-Calédonie et des autres employeurs d’une part, de représentants des syndicats de fonctionnaires cotisants et de retraités d’autre part.
La Nouvelle-Calédonie a également transféré la gestion administrative du régime à l’établissement.
Ce modèle présente des dysfonctionnements.
Il a globalement bien fonctionné s’agissant de la gouvernance générale du régime. Le conseil d’administration a été saisi systématiquement des projets de texte et les a adoptés dans leur version définitive avant leur mise en oeuvre sous forme d’arrêté ou de délibération, assurant une participation effective du conseil d’administration à la gouvernance du régime. Le caractère
collectif de la gouvernance a été renforcé en 2014 avec le transfert de la caution du régime à l’ensemble des employeurs en cas d’insuffisance de ressources. Cette responsabilité incombait
depuis l’origine à la Nouvelle-Calédonie. Toutefois, il n’y a pas au sein de l’administration de fonctionnaire assurant l’interface entre l’établissement et l’administration. La chambre recommande que cette fonction soit assurée.
Par ailleurs, le comité d’orientation et de pilotage (COP), instance de gouvernance de l’établissement chargée de l’expertise financière du régime à l’aide de moyens dédiés qui auraient dû mis à sa disposition par la CLR, n’a pas bien fonctionné. Créé sur le papier en 2006, le COP a été rarement réuni. Ses membres ont été choisis parmi les administrateurs siégeant au conseil d’administration et son rôle s’est limité à la préparation et au suivi des sujets évoqués en conseil d’administration.
L’expertise fournie par le COP s’est limitée à deux « pesées actuarielles » en 2011 et en 2012, documents établissant les prévisions à long terme établies par un « actuaire » spécialisé. Aucun des travaux d’expertise dont la production est fixée au COP par le code des pensions n’a été produit. Ce niveau d’information insuffisant de la gouvernance est d’autant plus préoccupant que le régime est depuis 2000 en difficulté financière et que les trois réformes menées en 2003, 2006 et 2014 ont échoué à le redresser.
La Nouvelle-Calédonie, tutelle de l’établissement, doit veiller à ce que les travaux confiés au COP prévus par le code des pensions soient produits.
L’autre objectif de la réforme de 1994 a été le transfert de la gestion opérationnelle à l’établissement lui-même alors qu’elle avait été jusqu’ici assurée par le « bureau des retraites » de la direction des finances. Cette solution n’était pas la seule possible, l’établissement créé pouvant se limiter, comme en métropole la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, à être le support de la gouvernance paritaire. Le transfert a été effectué en 1996 et finalisé en 2004 avec l’intégration des flux de cotisations et de pensions, précédemment
gérés par la Caisse des dépôts, au budget de l’établissement.
L’établissement a maintenu son format d’effectif (sept agents) et son budget (environ 70 MF CFP) en absorbant depuis sa création une multiplication par plus de deux du nombre d’affiliés et par plus de quatre du nombre de pensionnés. Sa mission principale de verser les pensions a été atteinte avec efficacité et efficience.
Cependant, aucune réflexion n’a été conduite par le conseil d’administration. Ce dernier n’a pas défini les « orientations générales de l’établissement » contrairement aux dispositions du code des pensions. La tutelle n’a pas non plus fixé de feuille de route à l’établissement.
Pour la liquidation des pensions, l’établissement est tributaire des informations produites par la gestion centralisée des fonctionnaires des cadres territoriaux et communaux opérée par la Nouvelle-Calédonie. Ce dispositif de gestion n’assure pas toujours une reconstitution fiable de la carrière des agents. En outre, il ne permet pas de connaître le nombre de fonctionnaires en activité à un moment donné. La CLR doit, ainsi, vérifier et recouper les informations sur les fonctionnaires en activité et en fin de carrière. La chambre recommande à la Nouvelle-Calédonie de fiabiliser le système de gestion et de suivi de la carrière des fonctionnaires.
La chambre formule plusieurs recommandations tendant à ce que la Nouvelle-Calédonie veille aux mesures suivantes visant à structurer l’action de la CLR : orientations générales de l’établissement, projet d’établissement, règlement intérieur, convention d’objectifs et de gestion.
La chambre recommande enfin à la Nouvelle-Calédonie, en sa qualité de tutelle de l’établissement et du régime, de mettre en oeuvre un droit à l’information et de procéder à des enquêtes sur le niveau de satisfaction et les attentes des usagers.
Une situation financière à rétablir d’urgence
Les flux du régime représentent plus de 99,5 % du budget de l’établissement en recettes et en dépenses. En 2019, les cotisations ont atteint 17 020 MF CFP sur un total de recettes budgétaires de 17 036 MF CFP et les pensions 17 835 MF CFP sur un total de dépenses budgétaires de 17 983 MF CFP. Le régime comptait 10 333 cotisants et 5 184 pensionnés fin 2019 contre 8 824 cotisants et 3 893 pensionnés fin 2011.
Le régime a, jusqu’en 2003, prévu des bonifications d’ancienneté réduisant à trente ans la durée de cotisations nécessaire pour bénéficier d’une retraite à taux plein. Ceci permettait aux agents de prendre leur retraite à 50 ans après trente années de services. Le régime était donc intrinsèquement déséquilibré car sur la durée de vie d’un agent, il en découlait un montant total cotisé très inférieur au montant total des pensions versées. Les droits acquis étant conservés, le régime demeure marqué par ce déséquilibre de fond, même si les bonifications ont été
supprimées, hormis la bonification de durée de services d’une année pour dix ans de services.
La situation du régime a été pourtant excédentaire pendant plus de 40 ans car du fait des circonstances de sa mise en place, il n’a géré que très peu de pensionnés pendant une trentaine d’années : il y avait encore huit cotisants pour un pensionné en 1986. Le nombre élevé de cotisants au regard de celui des pensionnés a rendu le régime excédentaire. Ceci a permis l’accumulation de réserves qui ont généré des produits de placements améliorant encore la situation excédentaire du régime. Le régime a ainsi pu cumuler les excédents jusqu’en 1999,
leur maximum ayant atteint 34 023 MF CFP.
Cette configuration était cependant exceptionnelle et s’est dégradée au fur et à mesure que les fonctionnaires entrés de plus en plus nombreux dans le régime ont fait valoir leur droit à la retraite. Depuis 2000, l’arrivée à maturité démographique du régime l’a plongé dans le déficit. Fin 2019, le fonds de roulement n’atteignait plus que 7 822 MF CFP soit une diminution de 26 201 MF CFP depuis le plus haut de 1999.
L’exercice 2019 s’est soldé par un déficit de 935 MF CFP. Les perspectives 2020-2023 sont négatives car en raison de la crise sanitaire et économique, les effectifs cotisants qui progressaient de 2 % par an depuis une quinzaine d’années, vont progresser moins rapidement voire stagner. Or, compte tenu de l’arrivée à l’âge de la retraite des classes d’effectifs nombreuses recrutées il y a trente ans, le rythme de croissance du nombre de pensionnés - environ 4 % par an - ne faiblira pas. La progression moins rapide des effectifs de cotisants que de pensionnés va renforcer l’effet volume négatif du régime.
Un assèchement de la trésorerie entre 2022 et 2023 est probable si aucune mesure n’est prise. La chambre recommande à la Nouvelle-Calédonie d’élaborer un plan de redressement budgétaire et de le proposer au conseil d’administration dès 2020. Ce plan devrait répartir les financements entre les employeurs, les agents et les retraités, leurs capacités contributives étant les suivantes : 1 % de taux de cotisations représente 570 MF CFP de recettes et 1 % de taux de minoration de la pension représente une économie de 170 MF CFP.
Parallèlement, la question de l’équilibre de long terme du régime demeure posée.
La Nouvelle-Calédonie doit, en définitive, assurer que la CLR soit dotée d’une feuille de route et d’un projet interne de développement répondant aux dysfonctionnements du comité d’orientation et de pilotage, et mettant en oeuvre une stratégie de redressement et de gestion du régime de court, moyen et long termes. Tel est le sens des recommandations de la chambre territoriale des comptes.
La chambre souligne à nouveau que si la CLR devait se retrouver en état de cessation des paiements, il incomberait à tous les employeurs publics de combler son financement au prorata de leurs effectifs cotisants.
Dans sa réponse le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie prend acte des observations et des recommandations du présent rapport :
« Votre juridiction financière formule diverses observations dont la Nouvelle-Calédonie prend acte et qui appellent des mesures correctives appropriées. Elle soulève notamment, le risque avéré d’une cessation de paiement des pensions à horizon très bref. Dans un contexte financier extrêmement tendu, je vous confirme toute l’attention que porte la Nouvelle-Calédonie à cette situation particulièrement défavorable.
En tant qu’autorité de tutelle de la caisse cofinanceur ultime du régime, je vous atteste que des mesures réformatrices sont actuellement étudiées. Parallèlement, la Nouvelle-Calédonie s’emploie à l’élaboration d’un plan de redressement à plus long terme incluant la définition d’une trajectoire financière viable pour le régime des retraites des calédoniens. ».