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Premier bilan du pass Culture

COUR DES COMPTES

Le pass Culture constitue une politique prioritaire du ministère de la culture depuis 2017. Après des phases d’expérimentations dans plusieurs départements, le pass Culture a été généralisé en 2021 à tous les jeunes de 18 ans sur l’ensemble du territoire français, puis étendu en 2022, aux jeunes âgés de 15 à 17 ans. Il permet de bénéficier d’un crédit individuel afin d’accéder à des activités ou à des biens culturels et artistiques. Le ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse a également créé une part collective sous forme d’un crédit alloué à chaque classe au prorata du nombre d’élèves dès la classe de 6ème. Ce rapport, se concentrant essentiellement sur la part dite « individuelle » du pass Culture, analyse la manière dont les jeunes utilisateurs se sont saisis de ce nouvel outil et établit un premier bilan des résultats, eu égard aux objectifs larges et ambitieux qui furent formulés au lancement de ce dispositif.

Une montée en charge rapide et inégale

Le pass Culture poursuit des objectifs ambitieux à savoir : favoriser l’accès à la culture en autonomie, encourager la diversité des pratiques, proposer des offres attractives et concourir à ce qu’elles soient présentées de manière personnalisée et localisée aux utilisateurs. Sur le plan quantitatif, l’ambition d’universalité est en passe d’être réalisée avec 84% des jeunes de 18 ans révolus qui utilisent le pass Culture, à fin août 2024. Au total, ce sont 4,2 millions de jeunes qui se sont inscrits sur l’application pass Culture depuis 2019. Cependant, 16 % des bénéficiaires potentiels, correspondant aux publics les moins familiers des pratiques culturelles, n’ont pas adhéré au dispositif. En ajoutant les 9 % des jeunes qui ont téléchargé l’application du pass sans pour autant l’utiliser, au total, 25 % des jeunes n’ont pas bénéficié du pass. Et les 75 % de jeunes qui ont utilisé leur pass n’ont pas dépensé la totalité de leur enveloppe de 300 €, mais en moyenne un peu plus de 250 €. En outre, parmi les jeunes issus des classes populaires, c’est-à-dire dont les parents sont peu ou pas diplômés et exercent une profession d’ouvrier ou d’employé, seuls 68 % ont activé leur pass. L’objectif d’inscrire un nombre maximum de jeunes a ainsi jusqu’à présent prévalu sur l’objectif de démocratisation de l’accès à l’offre culturelle.  De même, l’objectif quantitatif (maximiser le nombre de jeunes bénéficiaires) a prévalu sur le souci de qualité des offres, dont le nombre pléthorique de 36 000 montre l’absence de sélectivité. Cette absence de contrôle a conduit au financement de 16 M€ depuis le lancement du dispositif d’activités d’escape games : à la suite de ce constat par la Cour, leur déréférencement a été demandé par le ministère de la culture.

Un effet difficilement mesurable d’intensification des pratiques culturelles établies, dont la diversification demeure limitée

Depuis la généralisation du dispositif, les livres représentent entre 42 et 55 % des montants dépensés chaque trimestre. Les jeunes utilisent également le pass Culture pour réserver des places de cinéma et de concerts. En revanche, seulement 7 % des jeunes ont réservé en moyenne au moins une fois un spectacle vivant autre que musical (théâtre, danse, cirque, etc.) via l’application. Les grands opérateurs publics du spectacle vivant semblent réticents à s’ouvrir au public détenteur du pass Culture. Seuls 55 % des musées y sont inscrits. De plus, l’organisme en charge de ce pass, la société pass Culture, n’étant pas mandaté pour s’assurer de la qualité des offres proposées, la part individuelle du pass offre une liberté totale à l’utilisateur dans le choix de ses pratiques. Les outils de recommandations éditorialisés ou algorithmiques développés par la société ont eu peu d’effet puisque 90 % des réservations ont été réalisées à partir d’une première consultation du moteur de recherche, et non à partir des propositions poussées par l’application. Dès lors, le principal impact du pass Culture observé sur les premières cohortes se traduit plutôt par une intensification des pratiques culturelles déjà bien établies chez les jeunes. La médiation faiblement développée au sein de l’application ne permet pas de contrecarrer les inégalités structurelles préexistantes à l’accès à la culture. Un sondage commandé par la Cour et par l’Inspection générale des affaires culturelles a également mis en évidence la difficulté de pérenniser les nouvelles pratiques culturelles suscitées par le pass. En effet, une fois les crédits du pass Culture consommés ou expirés, les utilisateurs ne sont plus que 38 % à poursuivre les activités découvertes et 37 % à fréquenter les lieux fréquentés grâce à l’application. Afin de pouvoir mieux évaluer l’évolution des pratiques des jeunes avant et après l’utilisation du pass Culture, le ministère de la culture et la société pass Culture dans leurs réponses aux observations de la Cour, s’engagent à rendre obligatoire, d’ici à la fin de 2024, pour pouvoir bénéficier du pass, le questionnaire sur les pratiques culturelles initiales.

Un dispositif de guichet à maîtriser

Sur le plan budgétaire, le pass Culture s’apparente à une dépense de guichet difficilement maîtrisable. Il était supposé au départ se financer grâce à des recettes importantes issues du secteur privé. Pourtant, hormis la contribution des fournisseurs d’offres au financement de la plateforme (4% du volume d’affaires global entre 2019 et mi-2024), il est financé par l’État. La dépense budgétaire pour la part individuelle du pass Culture s’établissait à 93 M€ en 2021 et est prévue à hauteur de 244 M€ en 2024. A cette dépense s’ajoutent les 80 M€ (prévisions 2024) de la part collective, financée par le ministère de l’éducation nationale. Dans un contexte de finances publiques dégradées, plusieurs pistes d’économies sont envisageables, parmi lesquelles : la réduction du montant du crédit alloué aux jeunes de 18 ans (actuellement 300€ par bénéficiaire) ou le ciblage des bénéficiaires selon des critères sociaux ou territoriaux.

Une gouvernance à réformer

La gouvernance du pass Culture est à revoir en profondeur. La transformation de la société pass Culture en opérateur de l’État, recommandée par la Cour dans son rapport de juillet 2023 sur la genèse du pass Culture, a été annoncée par le ministère de la culture pour 2025. À terme, l’internalisation des activités et agents de la société pass Culture au sein du ministère de la culture permettra un meilleur pilotage du dispositif, ainsi qu’une meilleure information du Parlement et des citoyens grâce aux documents budgétaires annexés à la loi de finances. Enfin, et en toute hypothèse, il n’apparaît pas opportun d’envisager de nouveaux axes de développement des missions du pass Culture dont le dispositif doit être consolidé et amélioré.

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