Des mesures nationales ayant contribué à rigidifier la politique d’éducation prioritaire
La refondation de 2015 a consisté à revoir la carte de l’éducation prioritaire sur la base d’un indice social national, aboutissant à labelliser 1 093 réseaux de deux types : les réseaux d’éducation prioritaire (REP) composent un second cercle autour d’un premier cercle de réseaux d’éducation prioritaire renforcée (REP+) qui, présentant davantage de difficultés sociales et scolaires, concentrent les moyens. Dans son rapport de 2018 sur la politique d’éducation prioritaire, la Cour constatait déjà le manque d’instruments permettant un suivi des effets de cette politique, ainsi que le recul de la mixité sociale et scolaire. De même, la réduction du nombre d’élèves par classe en éducation prioritaire était trop limitée pour être efficace. Avec la refondation de 2015, les objectifs de l’éducation prioritaires ont été précisés, le rôle du collège comme tête de réseau a été réaffirmé et une concentration de moyens sur le noyau dur des REP+ a été entreprise. L’indemnité pour les personnels exerçant en REP a été augmentée, et celle pour les personnels en REP+ a été doublée par rapport à l’ancienne prime ZEP. Toutefois, la dynamique de la refondation de 2015, qui associait l’attribution de nouveaux moyens à l’ambition de modifier les pratiques pédagogiques et de renforcer le travail en réseau, s’est essoufflée. En témoignent par exemple le caractère souvent limité de la collaboration entre l’école et le collège. L’objectif de réduire « à moins de 10 % » les écarts de niveau entre les élèves scolarisés en éducation prioritaire et les autres, sans abaisser le niveau général, n’a pas été atteint. La logique de moyens a été privilégiée, sans que le pilotage national et l’évaluation n’apparaissent à la hauteur des investissements consentis depuis 2015 et sans qu’une véritable politique de mixité n’y soit réellement associée. En réalité, les mesures successives ont eu pour effet de rigidifier la gestion de l’éducation prioritaire et de rendre délicat tout aménagement de sa carte, alors même qu’une révision de celle-ci est nécessaire, au vu des mutations socio-économiques intervenues en France.
Une mise en œuvre locale qui peine à répondre à la diversité des besoins
Le pilotage territorial s’est renforcé en dix ans mais reste majoritairement guidé par une logique de gestion des moyens, laissant de côté la dimension stratégique et prospective. Tant sur le plan national que local, de nombreuses mesures tendant à renforcer l’attractivité des postes en éducation prioritaire, notamment en REP+ ont été mises en place, améliorant par ailleurs les processus d’affectation
et de recrutement. En l’absence de révision de la carte de l’éducation prioritaire, qui devait l’être tous les quatre ans, le ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse a créé depuis 2018 des dispositifs additionnels, à l’instar des contrat locaux d’accompagnement (CLA) et des territoires éducatifs ruraux (TER). L’ensemble apparaît désormais complexe, peu lisible, et peine à répondre à la diversité des besoins. L’absence de base de données concernant les écoles ne permettant pas de construire un indice qui leur est propre, le choix a donc été fait de labelliser les écoles selon une logique de réseau, c’est-à-dire selon la labellisation du collège auquel elles sont rattachées. Cette modalité de labellisation a entraîné des situations d’écoles « orphelines » qui ne bénéficient pas du classement en REP, alors que la réalité sociologique de leur public le justifierait. À l’inverse, d’autres écoles dont les familles sont davantage favorisées sont rattachées à un réseau d’éducation prioritaire. Enfin, la logique d’allocation des moyens propres à l’éducation prioritaire est par nature binaire et ne permet pas d’offrir une réelle progressivité dans les ressources apportées aux écoles et aux établissements.
Des écarts de résultats qui persistent entre les élèves de l’éducation prioritaire et les autres
L’évaluation conduite par la Cour en 2018 dressait déjà le constat que l’éducation prioritaire n’avait pas permis de réduire les écarts de résultats entre les élèves y étant scolarisés et les autres. De même, l’insuffisance des effectifs de personnels médicaux, paramédicaux et d’assistants sociaux ne permet pas de couvrir l’ensemble des besoins spécifiques des élèves de l’éducation prioritaire et d’assurer leur suivi. Plébiscité par les enseignants comme par les familles, le dédoublement, mis en place à partir de 2017 dans les classes de CP, CE1 puis grande section de maternelle en éducation prioritaire, a certes amélioré le climat scolaire et l’attention consacrée aux élèves les plus en difficulté. L’effet sur les résultats des élèves est cependant plus mitigé. Si l’on observe à court terme des progrès en mathématiques et, dans une moindre mesure, en lecture et écriture, ceux-ci s’estompent d’ici l’entrée au collège. Le dédoublement en tant que tel, appliqué à l’ensemble des matières traitées en classe avec un plafond de 12 élèves, devrait être réexaminé, au profit d’une réflexion plus globale sur les effectifs et les pratiques professionnelles les plus adaptés à un contexte de baisse démographique (- 231 000 élèves entre 2017 et 2024 ; prévision de – 400 000 élèves d’ici 2028).