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France Télévisions

COUR DES COMPTES

Près de dix ans après son précédent contrôle, la Cour publie un nouveau contrôle sur France Télévisions, la plus grosse entreprise de l’audiovisuel public, dont le capital est détenu à 100 % par l’État. Dans un environnement marqué par la révolution numérique et le basculement des usages et des supports, France Télévisions a réussi à consolider sa place de premier plan dans les audiences tant linéaires que numériques. Le présent rapport s’attelle non pas à évaluer la qualité des programmes diffusés par France Télévisions ni la façon dont le groupe remplit les missions fixées par son cahier des charges, mais s’attache aux enjeux de gestion économique et financière. Il analyse l’évolution de France Télévisions depuis 2017, alors que le précédent rapport de la Cour faisait le constat de plusieurs défis à relever : parachever l’entreprise unique, accélérer la transformation numérique et réformer un modèle économique « non soutenable dans la durée ».

Des avancées significatives dans l’entreprise unique

La mise en œuvre de l’entreprise unique décidée en 2009 s’est accélérée au cours de la période sous revue, plusieurs réformes d’ampleur ayant été conduites malgré les réticences d’une partie du corps social. 
Tout d’abord, la création d’une direction unique de l’antenne et des programmes a mis fin à la gestion en silos des deux antennes historiques France 2 et France 3. Outre les gains d’efficacité et d’effectifs permis par cette réorganisation, France Télévisions a ainsi renforcé sa position vis-à-vis des producteurs pour négocier des droits mieux adaptés à l’exposition de ses contenus sur le numérique et aux ambitions de sa plateforme. Dans un univers numérique où l’accès aux droits et la constitution d’un catalogue propre sont des enjeux clés, France Télévisions a eu la volonté d’accroître fortement son activité de producteur avec la montée en puissance de sa filiale France.tv studio, aujourd’hui le deuxième fournisseur de programmes du groupe. Par ailleurs, alors que les implantations immobilières étaient dispersées sur seize sites distincts, le regroupement des équipes franciliennes (projet Campus) engagé en 2022 rejoint l’objectif d’une plus grande cohérence du groupe tout en intégrant l’évolution des modes de travail et les équipes.

Des réseaux à rapprocher pour une offre de proximité adaptée aux nouveaux usages

Les réseaux France 3 et outre-mer (représentant le quart des charges d’exploitation de l’entreprise) jouent un rôle de premier plan dans la mise en valeur de la proximité, conformément à la mission de service public de France Télévisions. Dans les neuf stations ultramarines (les «1ères»), le développement du numérique a été engagé depuis plus d’une décennie pour répondre aux attentes d’un public ultramarin où les moins de 25 ans représentent jusqu’à 45 % de la population. Au sein du réseau France 3 et de ses 24 antennes régionales, la stratégie multimédia de l’offre de contenus régionaux apparaît moins avancée. La mise en ligne de l’intégralité des programmes des antennes régionales en rattrapage sur la plateforme france.tv s’accompagne depuis 2022 d’une meilleure visibilité des programmes de proximité. Ces évolutions indispensables se heurtent cependant à la rigidité des organisations du travail mises en place par l’accord collectif et à l’absence de polyvalence entre les métiers. À l’heure du « tout numérique », la capacité de l’audiovisuel public à proposer une offre intégrée puissante est un défi majeur. La mise en place, conjointement avec Radio France, en 2024 du site et de la marque commune « ICI » est un premier pas, mais les progrès accomplis depuis 2020 ont été très lents.

Une situation financière préoccupante

France Télévisions dispose d’un budget de 3 Md€ provenant à 80 % des concours publics, stable entre 2017 et 2023 ; l’année 2024 a vu une augmentation liée tant aux concours publics qu’au marché publicitaire, soutenu par les Jeux olympiques et paralympiques de Paris, ce qui a porté le chiffre d’affaires du groupe à 3,3 Md€. Entre 2018 et 2022, la trajectoire de baisse des concours publics était claire : France Télévisions a vu le concours de l’État à ses ressources baisser de 161 M€. Cet effort a été en partie amorti par la progression des recettes publicitaires et par des économies sur sa gestion. 
Depuis 2023, la trajectoire financière connaît des heurts. La situation des finances publiques rend peu probable une augmentation des concours publics à l’audiovisuel alors que la situation financière du groupe est préoccupante. Entre 2017 et 2024, ses résultats nets présentent un déficit cumulé de 81 M€. Sa trésorerie s’est fortement érodée. Ses capitaux propres sont passés en huit ans de 294 à 179 M€.
Dans ce contexte, la direction de France Télévisions a présenté à son conseil d’administration un budget prévoyant une perte d’exploitation de presque 50 M€. Le budget adopté pour 2025 présente un résultat net négatif de - 40 M€. Cette situation globale impose à l’État actionnaire de prendre avant le 31 décembre 2026, des mesures de rétablissement des fonds propres ou de réduction du capital social.

La rénovation du cadre social, indispensable à l’amélioration de la performance de l’entreprise

La classification étroite de près de 160 métiers, figée par l’accord collectif en vigueur depuis douze ans, limite la polyvalence des salariés et freine l'évolution des compétences. Elle favorise le recours à l’emploi non permanent, qui a fortement augmenté depuis 2020 dans le réseau France 3, à contre-courant de l’évolution générale du reste de l’entreprise. Depuis sa mise en œuvre en 2013, l’accord collectif a conduit mécaniquement à alourdir les charges et à creuser le déficit d’exploitation. Le plan de recomposition des effectifs mis en œuvre entre 2019 et 2022 a permis une réduction des effectifs, mais n’a conduit qu’à une stabilisation ponctuelle de la masse salariale. Les efforts en parallèle de la direction de l’entreprise pour faire évoluer les métiers, par exemple à travers les unités de compétences complémentaires (UCC), restent coûteux et insuffisants pour répondre aux besoins de transformation de l'entreprise. Une renégociation globale de l’accord collectif de 2013 est aujourd’hui inéluctable face à la situation financière critique de France Télévisions pour assurer sa pérennité. Cette mutation doit s’accompagner de l’adoption d’un contrat d’objectifs et de moyens adossé à une trajectoire financière pluriannuelle stabilisée pour toute la durée du contrat, afin de donner un cadre clair à la direction de l’entreprise au moment où la dénonciation de l’accord a été annoncée lors du conseil d’administration du 10 juillet dernier.

L’enjeu des investissements et des compétences pour poursuivre la transformation numérique

Confrontée à la révolution des usages, France Télévisions a engagé une stratégie de transformation numérique qui s’est accélérée à partir de 2020, malgré l’échec de Salto, dont la dissolution en 2022 s’est traduite par une perte d’environ 58 M€. En parallèle cependant, la restructuration de l’offre numérique de France Télévisions avec la simplification de l’offre gratuite autour de deux plateformes leaders, france.tv et franceinfo.fr, et la complémentarité entre offre linéaire et offre numérique, ont été efficaces. Face à la mutation rapide et continue des usages et au risque de vieillissement de son public, le groupe doit consolider sa transformation numérique à travers de nouveaux investissements. C’est la condition indispensable au maintien de sa place dans le paysage audiovisuel et à sa mission de service public.

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